ANALYSES

Frappe américaine en Syrie : « Trump veut montrer qu’il n’est pas uniquement dans le bluff »

Presse
7 avril 2017
La Russie et l’Iran, fidèles alliés du régime, ont immédiatement dénoncé « une agression ». Une action qui risque de redistribuer les cartes dans la région, où de nombreuses puissances internationales ont pris position. Pourtant, depuis le début de son mandat, Donald Trump avait plutôt appelé à faire front commun avec Damas et Moscou. Pour y voir plus clair sur ce revirement soudain, franceinfo a interrogé Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS et auteure de Trump, l’onde de choc populiste (FYP éditions, 2016).

Franceinfo : Il y a une semaine, l’administration américaine affirmait que le départ de Bachar Al-Assad n’était plus une priorité pour Washington. Comment faut-il interpréter ce soudain revirement de situation ?

C’est un fait, Donald Trump est quelqu’un d’imprévisible, mais cette frappe soudaine s’explique par différents éléments. D’abord par l’émotion générale suscitée par le bombardement à l’arme chimique de ce village syrien, cette semaine. C’est loin d’être la première fois que Bachar Al-Assad assassine son peuple. Seulement, cette fois, il y a eu des images d’enfants gazés qui ont beaucoup choqué l’opinion américaine. Comme en France, les chaînes de télévision américaines ont diffusé en boucle ces images atroces. Après les signaux plutôt positifs que son administration avait envoyés à Bachar Al-Assad, Trump se devait de réagir.

D’autre part, Donald Trump a souhaité montrer au monde qu’il était un homme fort et qu’il était prêt à agir seul, sans se soucier des tergiversations de l’ONU. Il rompt ainsi avec son prédécesseur, qui avait dû reculer en 2013, malgré sa fameuse déclaration sur la ligne rouge. Lui montre qu’il n’a pas besoin de négocier, ni avec le Conseil de sécurité, ni avec le Congrès, pour intervenir. Il s’inscrit dans un rôle de chef de guerre. C’est une position très « viriliste ».

En rompant ainsi avec la politique menée par Barack Obama, Donald Trump répond-il aussi à des enjeux de politique intérieure ?

Evidemment. Cette frappe s’inscrit dans un contexte intérieur très particulier pour Donald Trump. Il a été mis en grande difficulté par les accusations d’immixtion probable de la Russie dans la campagne présidentielle. Le FBI et le Sénat enquêtent sur ses proches, accusés de liens avec Moscou. Aujourd’hui, Donald Trump veut montrer l’image d’un président qui n’est pas inféodé au Kremlin et qui a son propre libre arbitre.

Outre ces accusations, le nouveau président américain a essuyé une série d’échecs politiques avec la réforme de la santé et le décret sur l’immigration. Récemment, il a encore été fragilisé par l’éviction de son bras droit Steve Bannon du Conseil de sécurité nationale. Avec cette frappe, Donald Trump a réussi à remettre les Républicains en ordre de marche derrière lui.

Et sur le plan extérieur, que cela veut-il dire ?

Le moment n’est pas anodin. Cette frappe a été décidée alors que Donald Trump reçoit le président chinois. Il veut montrer qu’il n’est pas uniquement dans le bluff et qu’il est capable d’agir. Un message aussi destiné à la Corée du Nord et à l’Iran.

Sur le Moyen-Orient, maintenant, ma conviction est qu’il n’a pas de réelle stratégie pour la région. Son administration et la diplomatie américaine se sont inquiétées ces derniers mois de son incompétence et de sa difficulté à prendre acte de la complexité du jeu d’alliance dans la région. Que va-t-il se passer désormais dans ce billard à plusieurs bandes qu’est le conflit syrien ? C’est la grande question.
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