ANALYSES

Entre famine et guerre civile : le Soudan du Sud abandonné à son propre sort

Interview
4 avril 2017
Le point de vue de Philippe Hugon
Le 23 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est déclaré « profondément inquiet » de la dégradation de la situation humanitaire et de la famine qui sévit au Soudan du Sud, alors qu’un nouveau cessez-le-feu a été annoncé par le président Salva KiirL’analyse de Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS.

Cinq ans après son indépendance, le Soudan du Sud est ravagé par la famine et la guerre civile. Comment le pays est-il arrivé à une telle situation de crise ?

Après cinq années d’indépendance, de nombreux problèmes n’ont toujours pas pu être réglés au Soudan du Sud. D’une part, des tensions persistent entre ce dernier et son voisin, le Soudan, notamment au sujet de la frontière de l’Abiyé, riche en pétrole. La discorde concerne les redevances liées à l’oléoduc allant à Port-Soudan. Actuellement, le pétrole ne peut s’évacuer que par le biais du Soudan ; les questions d’exploitation sont donc sources de conflits entre les deux pays voisins. Cette situation provoque également une très forte baisse de la production pétrolière. D’autre part, la question de la citoyenneté des Soudanais du Sud qui habitent au Soudan est également source de tension.

Aujourd’hui, les deux pays s’affrontent ainsi indirectement par leur soutien aux différentes factions rebelles.

Le Soudan du Sud n’était pas préparé à sa propre indépendance : il ne disposait ni d’administration, ni d’infrastructures. Hormis sa richesse pétrolière, le pays se trouvait donc dans un état de dénuement absolu. Par ailleurs, deux grands groupes ethniques s’y sont affrontés. D’un côté, le groupe Dinka du président Salva Kiir ; de l’autre, le groupe Nuer de l’ancien vice-président Riek Machar. Ces affrontements ethno-régionaux ont de plus été instrumentalisés par le Soudan, qui joue sur la rivalité entre les différents groupes de son voisin. On assiste donc à l’imbrication de deux conflits aux conséquences dramatiques : depuis l’indépendance en 2011, le nombre de personnes déplacées et tuées s’élève à environ 300 000. Le pays est depuis lors devenu l’un des fournisseurs principaux de réfugiés en direction de l’Europe, au même titre que la Somalie ou l’Érythrée. De plus, environ 5 millions d’individus se retrouvent en état de très forte malnutrition, voire de famine pour 100 000 d’entre eux. À la crise politique s’ajoute en effet une situation d’importante sécheresse.

On observe donc un véritable enchevêtrement de facteurs qui expliquent cette situation sud-soudanaise critique, qui représente actuellement l’une des crises humanitaires les plus graves du monde, et non pas simplement de l’Afrique.

Face à cette crise, quelle est la réaction de la communauté internationale ? Pourquoi l’aide humanitaire ne parvient-elle pas à venir au secours de la population ?

Tout d’abord, il est à noter que l’aide humanitaire est toujours très lente à être mobilisée. Pour les 20 millions de personnes qui sont en situation de très grande vulnérabilité alimentaire, notamment au Soudan du Sud – voire pour certaines en situation de famine -, il faudrait débloquer immédiatement environ 5,6 milliards de dollars. Or, on assiste à un retard et même à un refus de mobilisation de la part de la communauté internationale. Le contexte international actuel n’est effectivement pas le meilleur, à commencer par la position américaine. Alors que les États-Unis ont pourtant été à l’origine de la création du Soudan du Sud – notamment pour des enjeux pétroliers -, Washington ne semble plus en assurer les suites. Ainsi, Juba se trouve dans une situation chaotique peu médiatisée. Alors que la crise qui y sévit est excessivement grave, elle n’a relativement pas mobilisé l’opinion publique américaine, comme cela avait par exemple été le cas pour la crise au Darfour.

En outre, il est extrêmement difficile en situation de conflit d’acheminer de l’aide alimentaire, du fait des très grands risques menaçant les membres des organisations alimentaires. S’ajoute aussi la nécessité des compromis avec les différentes factions sur le terrain. Dans une telle situation de chaos, il est donc très complexe de permettre aux populations d’accéder à l’aide alimentaire. Cette dernière est d’ailleurs souvent utilisée comme une arme de pouvoir ou d’opposition contre ses ennemis.

Lundi 27 mars, le président Salva Kiir a annoncé un cessez-le-feu. Peut-on espérer les prémices d’une réconciliation ?

Bien entendu, il est important d’espérer une réconciliation entre Salva Kiir et Riek Machar. Ceci étant, il faut également se montrer très prudent car plusieurs cessez-le-feu ont déjà été annoncés par le passé. Or, tous ont été très rapidement rompus.

En réalité, pour que ce cessez-le-feu fonctionne, il est impératif que les deux protagonistes évoqués soient contrôlés et encadrés. Dans l’idéal, ils le seraient par des forces africaines, notamment celles de l’Union africaine, mais il pourrait aussi s’agir éventuellement de forces des ensembles régionaux.

Cependant dans le cas présent, il est aussi absolument nécessaire que les États-Unis fassent preuve de volonté politique, puisqu’ils sont à l’origine de la création du Soudan du Sud. Or, il ne semble pas que la situation actuelle de Juba passionne réellement le président Donald Trump. Pour l’instant, le gouvernement de Washington ne semble pas prêt à jouer son rôle de médiateur.
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