ANALYSES

Tirs de missiles nord-coréens : des négociations multilatérales dans l’impasse ?

Interview
10 mars 2017
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Lundi 6 mars, la Corée du Nord a effectué des nouveaux tirs de missiles. Que révèlent ces tirs des intentions de Pyongyang ? Doit-on les considérer comme une menace sérieuse pour la communauté internationale ?

Les gesticulations de Pyongyang représentent toujours une menace sérieuse pour la communauté internationale, compte-tenu du fait que la Corée du Nord affiche une volonté de poursuivre un programme nucléaire et d’autres armes de destruction massive, en accompagnement d’un programme balistique. Ce n’est pas la première fois que Pyongyang teste des missiles, elle le fait de manière régulière : depuis le début de l’année 2017, plusieurs essais de missiles ont déjà eu lieu et ont d’ailleurs été très fortement critiqués, voire sanctionnés, à la fois par la communauté internationale et par les différents acteurs de la région. Cette nouvelle manœuvre n’a donc rien de nouveau mais elle traduit la volonté du régime nord-coréen de maintenir le cap sur sa stratégie dite « du pire », qui consiste à mettre constamment en avant des capacités de menace disproportionnées et à chercher en retour à négocier un certain nombre de garanties pour la survie du régime. La Corée du Nord considère en effet que pour assurer sa survie, elle ne doit surtout pas lâcher du lest mais au contraire se doit de se montrer la plus menaçante possible, afin d’exiger en retour un certain nombre de garanties sécuritaires, économiques et humanitaires, sous la forme d’aides multiples et variées. Ce qui est intéressant, c’est que techniquement parlant, cette nouvelle campagne de missiles n’apporte rien de nouveau : on n’a pas la démonstration que la Corée du Nord aurait des capacités nouvelles et qu’elle serait passée à un stade de menace supérieur, puisque les missiles se sont abîmés en mer du Japon, alors que Pyongyang était déjà capable depuis plusieurs années d’envoyer des missiles sur l’archipel japonais. Il n’y a donc rien de nouveau du point de vue technique mais il s’agit plutôt d’une réaffirmation de la détermination de la Corée du Nord.

Par ailleurs, le contexte local actuel est caractérisé par plusieurs éléments. Tout d’abord, un renforcement de sanctions consécutives aux dernières gesticulations de Pyongyang, notamment des sanctions de la part de la Chine, qui a considérablement durci le ton depuis plusieurs mois. Côtés américain et sud-coréen, on observe la mise en place progressive d’un bouclier anti-missile, le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), en cours d’installation sur la péninsule. Des manœuvres militaires ont également lieu entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. Le timing n’est donc pas totalement innocent : la Corée du Nord répond avec fermeté à ce qu’elle perçoit comme de véritables atteintes à sa souveraineté.

Pékin a demandé à Pyongyang de suspendre son programme nucléaire. S’agit-il d’un retournement majeur de situation alors que la Chine a toujours été le principal allié de la Corée du Nord ?

Le retournement de la Chine remonte en réalité à plusieurs mois, voire plusieurs années. Progressivement, Pékin s’est effectivement détaché de la posture inquiétante de Pyongyang, notamment en condamnant avec sévérité les derniers essais nucléaires nord-coréens. Notons que la Chine n’a d’ailleurs jamais soutenu de tels essais. La vive dénonciation par Pékin des deux derniers essais nord-coréens en 2016 illustre même une désapprobation claire et précise. En outre, à l’occasion de la dernière campagne de tirs de missiles début 2017, la Chine a annoncé la mise en place de sanctions économiques, notamment sur les importations de matières premières (produits miniers en particulier). Or, la Chine fait littéralement vivre la Corée du Nord d’un point de vue économique. Par conséquent, ces sanctions peuvent avoir des effets importants et marquent une évolution dans la posture chinoise à l’égard de son voisin.

Pékin a été montré du doigt à de multiples reprises pour entretenir une forme d’ambigüité sur sa relation avec Pyongyang. Cela était vrai historiquement mais la situation a progressivement évolué : la Chine se montre aujourd’hui beaucoup plus hostile au discours très menaçant de la Corée du Nord. Cela signifie-t-il pour autant que le gouvernement chinois s’apprête à lâcher son homologue nord-coréen ? Ce n’est pas certain. Mais en tout état de cause, Pékin manifeste son désaccord avec cette stratégie du pire. D’ailleurs, aujourd’hui lorsque l’on aborde la question de la Corée du Nord avec des experts ou des officiers chinois, la rhétorique est très intéressante car ils évoquent un « problème nord-coréen ». Néanmoins, l’intérêt pour la Chine de continuer à entretenir une relation avec la Corée du Nord est tout d’abord d’ordre économique : dès lors que la Chine est le seul pays qui entretient une relation avec ce régime totalement isolé, elle peut se tailler la part du lion sur toutes les exportations, notamment des produits miniers dont la Corée du Nord possède beaucoup de gisements. Cette relation de dépendance de Pyongyang envers la Chine est donc bien très confortable pour cette dernière. L’intérêt pour le gouvernement chinois est également politique : en entretenant ce lien, certes moins étroit que par le passé mais malgré tout toujours présent, Pékin s’impose comme la clef dans la résolution du problème nord-coréen. Il y a encore une quinzaine d’années, la Chine ne comptait presque pas dans les discussions diplomatiques sur la question nord-coréenne, dominées par les Etats-Unis. Or, elle est devenue aujourd’hui un acteur essentiel. En ce sens, c’est une vraie victoire diplomatique pour Pékin, au détriment des Etats-Unis et de ses alliés.

Où en sont les négociations entre les six acteurs régionaux concernés (Corée du Nord, Corée du Sud, Russie, Etats-Unis, Chine, Japon) ?

Les pourparlers à six ont été consécutifs à l’échec de l’initiative KEDO (Korean Peninsula Energy Development Organization) de 1994. Ces négociations à six, qui ont été initiées à Pékin, sont actuellement au point mort depuis plusieurs années, notamment depuis que la Corée du Nord a manifesté sa volonté de multiplier les essais nucléaires et de faire la sourde oreille face aux appels répétés à la raison. Le problème est qu’aujourd’hui, il n’existe plus de dialogue multilatéral avec la Corée du Nord : aucun dispositif ne permet aux émissaires américains, nord-coréens, sud-coréens, chinois, japonais et russes de se rencontrer autour d’une table afin de discuter des meilleures conditions possibles pour diminuer la menace nord-coréenne. Il est difficile d’envisager qu’un tel dispositif soit remis en place dans un avenir proche pour de multiples raisons. Tout d’abord à cause de la détermination nord-coréenne. Egalement en raison des problèmes politiques immenses rencontrés par la Corée du Sud, dont la présidente a été destituée. Cela signifie qu’avant qu’un nouveau chef de l’exécutif sud-coréen ne soit élu, il n’existe plus vraiment de force politique pouvant assumer une reprise en main de ce dialogue intercoréen. Ce dernier n’a jamais été à ce point menacé depuis les vingt dernières années ; même le petit cordon ombilical qui existait grâce au site industriel de Kaesong et qui servait de poumon économique a été fermé. Il est donc très difficile d’envisager à l’heure actuelle que les deux Corées se retrouvent autour d’une table. Le Japon de Shinzo Abe est pour sa part résolument hostile à tout dialogue avec Pyongyang. Quant aux Etats-Unis, les discours de Donald Trump n’invitent pas à une reprise des discussions multilatérales. La situation est donc clairement figée et c’est là où réside tout le problème : dès lors que la solution multilatérale n’existe pas, ou qu’elle n’est pas envisageable, on ne peut penser qu’à des solutions bilatérales. Et aujourd’hui, le seul pays susceptible de faire pression sur la Corée du Nord reste la Chine.
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