ANALYSES

« La France rayonne lorsqu’elle défend l’intérêt général de façon compatible à son intérêt national »

Presse
9 mars 2017
Quelle est aujourd’hui l’image de la France dans le monde ? Quelles répercussions la politique intérieure a-t-elle à l’étranger ? Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, a répondu à nos questions à l’occasion de la parution de son dernier essai, «Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?» (Max Milo, 2017).

Votre dernier essai, «Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?», pose la question de l’image de la France à l’étranger qui, selon vous s’est dégradée, tout autant que sa capacité d’influence sur les grandes questions internationales. En quoi ces deux sujets sont-ils liés ? Et comment en est-on arrivé là ?

La France a toujours bénéficié d’un grand prestige à l’étranger qui tient à sa tradition des «Lumières», la Révolution et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, ainsi que son rayonnement intellectuel et culturel. La mise en place d’une politique étrangère basée sur l’indépendance sous la Ve République, la promotion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la capacité à tenir tête aux superpuissances lorsque des principes essentiels furent en jeu, ont contribué au renouveau de notre rayonnement international. La France apparaissait comme le porte-voix de ceux qui n’en ont pas. Le général de Gaulle et François Mitterrand ont particulièrement incarné cette France, d’où l’émergence du concept de gaullo-mitterandisme. Plus récemment, Jacques Chirac, par son refus de la guerre d’Irak, l’a également symbolisée, grâce à une politique qui apparaissait lucide – les catastrophes prévues ont hélas eu lieu – et courageuse. Il pouvait paraître dangereux de s’opposer à «l’hyperpuissance» américaine à l’époque. La France est ainsi apparue comme un pays qui ne transige pas avec ses principes.
Mais, depuis, la politique française est moins tranchante. La rupture n’a pas eu lieu avec Nicolas Sarkozy, comme on le pense très souvent, mais à la fin du mandat de Jacques Chirac lorsque ce dernier, comme saisi de vertige face à sa propre audace et la peur du French bashing croissant aux États-Unis, a fait du pardon américain une priorité. Nicolas Sarkozy n’a fait que suivre ce mouvement en lui offrant beaucoup plus de publicité. Quant à François Hollande, s’il a connu des succès – accord de Paris sur le climat en décembre 2015, accords de Minsk, intervention au Mali –, son sens du compromis l’a poussé à ne pas s’éloigner des thèses américaines, même lorsque cela aurait été nécessaire. Pour des raisons de politique intérieure, il n’a pas respecté son engagement de reconnaître la Palestine. Or, sous la V e République, la France a toujours été le pays occidental le plus engagé, par respect du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cela lui a valu une forte popularité. Il n’y a donc non pas «disparition» de notre rayonnement international, mais un certain effacement.

Vous expliquez que plusieurs débats franco-français, comme ceux sur le voile ou le burkini, sont mortifères, parce qu’ils contribuent à cliver un peu plus la société française en stigmatisant une catégorie de personnes, mais aussi certaines femmes. Est-ce à dire que, sous couvert de «laïcité», l’islamophobie actuelle relaie les discriminations contre les femmes (que l’on trouvait déjà dans l’époque coloniale lorsqu’on «dévoilait» les musulmanes de force) ?

Nous vivons au sein d’un monde globalisé, où nos débats internes ont des répercussions internationales, et avant tout sur ceux qui pourraient être des partenaires naturels et s’intéressent plus particulièrement à la France. Or, la façon dont est abordée la question de l’islam en France est très négative, voire hostile, ce qui a pour double conséquence de mettre à l’épreuve le vouloir-vivre ensemble et de projeter une image d’intolérance à l’extérieur de nos frontières. Alors que justement, la France était louée pour son ouverture, le débat de l’été 2016 sur le burkini a été catastrophique. Comment expliquer que cela fut au centre de nos débats internes ? La France se porte extrêmement bien si elle n’a aucun autre problème. Dans les pays musulmans et non-musulmans, cette polémique a été perçue comme la preuve du problème spécifique de l’islam en France et du recul de la tolérance.

Qu’est-ce que la France doit faire, de votre point de vue, pour retrouver l’aura internationale qu’elle a perdue sans s’en rendre compte ?

Il faut renouer avec une politique internationale volontariste. La France rayonne lorsqu’elle est capable de défendre l’intérêt général de façon compatible à son intérêt national. Elle est perçue comme un pays spécifique, mais cette spécificité s’efface au fur à mesure. Je donne plusieurs pistes sur la sécurité collective, le désarmement, le développement où nous pourrions reprendre l’initiative. Paradoxalement, l’élection de Trump et le Brexit sont des opportunités. À condition de les saisir, de prendre des initiatives et d’être volontariste.

Enfin, étant donné que nous sommes en campagne présidentielle, trouvez-vous les programmes et les débats à la hauteur des enjeux que vous soulevez dans votre ouvrage ? Qu’auriez-vous envie de dire aux candidats ?

Le moins que l’on puisse dire c’est que les questions de politique internationale n’ont guère été abordées pour le moment. Il faut souhaiter qu’on ne se réduise pas à un débat dévoyé et caricatural sur le terrorisme. J’aimerais avoir une vision claire et cohérente de la part des candidats sur le rôle de la France dans le monde et de l’attitude à avoir par rapport aux États-Unis, à la Russie, la Chine, l’Afrique, la sécurité collective et le Proche-Orient.
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