ANALYSES

Face aux incertitudes de l’administration Trump, l’alliance indo-japonaise vitale

Tribune
7 mars 2017
Selon The Japan News, le Japon et l’Inde organisent très prochainementà Tokyo une réunion de leurs vice-ministres chargés des Affaires étrangères et de la Défense, afin de discuter de la situation internationale après l’entrée en service en janvier de l’administration du président américain Donald Trump. Des sources ont indiqué que les responsables japonais et indiens discuteront des mesures qui visent à renforcer davantage la coopération en matière de sécurité, ainsi que des problèmes régionaux des deux pays, dont l’expansion maritime de la Chine. Le Japon et l’Inde, qui ont développé un partenariat stratégique mondial, ont rapidement renforcé leurs relations économiques et sécuritaires ces dernières années. Un approfondissement de cette relation dans le contexte de la nouvelle administration Trump semble nécessaire.

Le Premier ministre Shinzō Abe a tenu son premier sommet officiel avec le président américain Donald Trump les 10 et 11 février. Etant l’allié le plus important du Japon, il était crucial pour Abe de réaffirmer ses liens bilatéraux de sécurité et commerciaux avec les États-Unis, souligne The Japan Times. À bien des égards, le sommet a été considéré comme un grand succès pour Abe. Au cours de leur conférence de presse conjointe, M. Trump a qualifié l’alliance entre les États-Unis et le Japon de « pierre angulaire de la paix et de la stabilité dans la région du Pacifique » et a indiqué l’engagement de son administration à « la sécurité du Japon et de toutes les régions sous son contrôle administratif ».

Bien qu’il y ait peu de doutes quant à la capacité de l’alliance multi-décennale à surmonter quelques tempêtes diplomatiques, les incertitudes demeurent néanmoins concernant l’orientation de l’administration Trump sur la politique étrangère. De telles incertitudes posent un risque de malentendu stratégique pour le Japon, soulignant la nécessité pour Tokyo de rechercher une stabilité stratégique supplémentaire au-delà de l’alliance avec les Etats-Unis. Dans un tel climat géopolitique, le Japon profitera de l’amélioration des liens avec d’autres acteurs régionaux et de liens plus étroits avec l’Inde – un partenaire naturel pour Tokyo.

Le sommet Inde-Japon de 2016 prévoyait un rôle régional plus important pour les deux pays. Partageant une vision commune de la démocratie et n’ayant pas de contentieux historiques comme la Chine ou la Corée, le Japon et l’Inde sont des alliés naturels et sont prêts à étendre la portée de leur coopération économique, stratégique et de défense. Significativement, le Japon est le seul pays que l’Inde a laissé pénétrer dans sa région politiquement sensible du Nord-Est, où Tokyo investit dans des projets de développement socio-économique. Depuis 1981, le gouvernement japonais a fourni à cette région des prêts d’aide publique au développement dans les domaines de l’énergie, de l’approvisionnement en eau, de l’exploitation forestière et du développement urbain. De plus, New Delhi a autorisé pour la première fois les investissements étrangers dans les îles d’Andaman et Nicobar, stratégiquement vitales. En outre, les deux pays ont signé un accord nucléaire civil en 2016, faisant de l’Inde le premier pays non signataire du Traité sur la non-prolifération nucléaire à signer un tel accord avec le Japon.

Les deux pays partagent des inquiétudes quant aux décisions imprévisibles de la politique étrangère de l’administration Trump. Par ses déclarations, ce dernier a mis en question la crédibilité du leadership et de l’engagement des États-Unis envers ses partenaires. Il a présenté le Japon comme un cavalier solitaire (free-rider) qui bénéficie de la garantie de sécurité des États-Unis sans en assumer les coûts. Il a également critiqué les pratiques japonaises en matière automobile et a accusé le Japon de dévaluer sa monnaie.
Or, plusieurs membres de l’ASEAN sont en conflit avec la Chine, conflit portant sur les différends territoriaux en mer de Chine méridionale. Ces tensions, combinées à la possibilité que les États-Unis jouent un rôle réduit dans la région, peuvent rendre certains pays nerveux à la perspective de l’émergence de la Chine en tant que seul acteur dominant sur le plan régional.

Le renforcement des relations sino-indiennes est donc opportun et offre une alternative à la domination sans entrave de la Chine. Le Japon et l’Inde s’engagent déjà auprès d’autres acteurs régionaux : M. Abe a visité les Philippines, l’Australie, l’Indonésie et le Vietnam en janvier afin de promouvoir une coopération étroite, tandis que la politique de «Act East» du Premier ministre indien Modi veut accroître la connectivité avec les pays asiatiques.

Cependant, pour assurer la stabilité régionale, Tokyo et New Delhi devraient également s’engager avec la Chine pour promouvoir des solutions pacifiques aux conflits régionaux. Certains pourraient soutenir que l’Inde n’a pas la volonté politique d’assumer un rôle de leadership plus important dans la région Asie-Pacifique. Cependant, New Delhi s’active déjà à freiner l’emprise de plus en plus grande de la Chine dans les littoraux de l’océan Indien, qui étaient traditionnellement sous la sphère d’influence de l’Inde. Elle peut s’appuyer sur le Japon : à la mi-février, les deux pays ont convenu qu’ils pouvaient jouer un rôle important dans le maintien de la paix et de la stabilité dans la région indo-pacifique. Kiren Rijiju, ministre d’Etat à l’Intérieur, a déclaré que les deux parties ont la responsabilité de maintenir la paix et la stabilité dans la région car elles ne croient pas à la nécessité de la militarisation de cette zone, rapporte The Indian Express. Il a assuré que le Premier ministre Narendra Modi partage une relation chaleureuse avec son homologue Shinzō Abe. Gageons que les deux pays ont intérêt à développer des relations empreintes de chaleur, d’humanité et de coopération stratégique face à la rhétorique parfois glaciale de Washington et Pékin.
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