ANALYSES

RD Congo, des funérailles à hauts risques

Tribune
7 mars 2017
La mort d’Etienne Tshisekedi à 84 ans, éternel opposant du pouvoir en République démocratique du Congo et dont la dépouille arrive depuis Bruxelles à Kinshasa le 11 mars, rebat complétement les cartes du jeu politique national. Elle augure mal d’une mise en oeuvre rapide de l’accord de la Saint Sylvestre, signé péniblement entre les divers protagonistes du jeu politique le 31 décembre dernier.

Etienne Tshisekedi, le « Sphinx de Limeté », a incarné à lui seul l’opposition congolaise pendant plus de 30 années de lutte, d’abord contre la dictature de Mobutu (1965-1997), puis contre ses successeurs à la tête du pays : Laurent-Désiré Kabila (1997-2001) et son fils Joseph Kabila depuis 2001. Ce dernier, réélu président en novembre 2011 avec un scrutin marqué par des fraudes massives, disposait d’un mandat qui s’est achevé le 20 décembre, sans que la prochaine élection présidentielle n’ait été organisée.

De sa voix métallique, Etienne Tshisekedi pouvait mobiliser des dizaines de milliers de jeunes des quartiers populaires de Kinshasa, enclins à affronter les forces de sécurité. Un brin mégalomane, autoritaire avec ses troupes et populiste, la manifestation était son arme ultime. Ses sympathisants, les « combattants » et les « parlementaires debout » transmettaient les consignes et les mots d’ordre du chef. Ayant toujours refusé la voie des armes dans un pays traversé par de multiples rébellions depuis son indépendance, le « vieux » maîtrisait mieux que personne la mobilisation populaire pour secouer les régimes successifs. Mais il n’est jamais parvenu à les faire vaciller.

Conclu sous les auspices de l’Eglise catholique, l’accord de la Saint Sylvestre est censé ouvrir la voie à une cogestion du pays entre le pouvoir et l’opposition jusqu’à la tenue d’une élection présidentielle, finalement supposée se tenir fin 2017. Jusqu’à présent, les discussions ont surtout porté prosaïquement sur le « partage du gâteau » : la distribution des rentes, et notamment des portefeuilles ministériels, plus que sur la manière d’organiser en pratique les élections dans le temps convenu.

Les difficultés d’organisation des élections sont considérables dans cet immense pays – cinq fois la superficie de la France – avec de nombreux territoires enclavés, faute d’infrastructures routières. La logistique représente le premier défi. Sans les moyens considérables mis en place par la Mission des Nations unies de maintien de la paix (MONUSCO), encore forte d’un contingent de 20 000 Casques bleus et d’un parc d’aéronefs qui en fait la troisième compagnie aérienne d’Afrique, les élections ne pourraient pas se tenir. Cet appui est indispensable pour aider à l’enregistrement d’environ 40 millions d’électeurs, à transporter le matériel électoral dans les 169 circonscriptions et les 62 000 bureaux de vote, et enfin à contrôler le scrutin. Aujourd’hui, 15 millions de personnes dans 13 des 16 provinces ont à ce jour été enregistrées. Le coût total de l’opération s’élève à 1,3 milliard de dollars.

La majorité, qui avait accepté de reconnaître le statut de président du Conseil de suivi de la transition politique (CNSA) à Etienne Tshisekedi intuitu personae, pourrait être tentée d’exiger un rééquilibrage qui remettra en cause l’accord si péniblement trouvé. De son côté, le Rassemblement de l’opposition tente, non sans mal, de se mettre en ordre de marche : Félix Tshisekedi, le fils, a été nommé président de la formation, tandis que l’ancien ministre des Affaires Étrangères, Pierre Lumbi, a été désigné à la tête du Conseil des sages. Certains suspectent une « infiltration » du pouvoir, d’autres au contraire saluent le fait que le mouvement n’ait pas implosé. Mais tous craignent que le Congo replonge dans la situation du début des années 1990, quand Mobutu au pouvoir était placé dans l’incapacité de gouverner, au point qu’il avait choisi d’aller vivre à Kawele loin des débordements politiques de l’opposition. Mobutu avait le contrôle de l’armée zaïroise ; ce qui n’est pas le cas avec le pouvoir actuel qui n’a pas le contrôle sur toutes les unités des forces de sécurité, dont certaines sont formées d’anciens groupes rebelles encore mal intégrés.

Pendant ce temps à Kinshasa, mégapole chaotique de 12 millions d’habitants, la grogne s’amplifie au sein d’une population largement miséreuse, qui voit ses piètres conditions de vie se détériorer chaque jour avec les pénuries, les délestages, l’inflation et la dépréciation du franc congolais. Le ressentiment s’installe de plus en plus face à tout ce qui ressemble à un corps constitué : pouvoir, opposition, armée prédatrice et même l’Eglise catholique, pourtant encore auréolée de ses années de lutte contre la dictature mobutiste. Dans cette urbanité lézardée, le peuple louvoie, courbe l’échine, « taille le caillou » et amortit les chocs, habitué des coups et des à-coups. Résignés et accablés par le souvenir des divers « pillages » que de précédentes iniquités avaient provoqués, les Kinois savent qu’opposer la révolte face à l’injuste « crise » débouche invariablement sur des conséquences non seulement incalculables, mais plus désastreuses encore.

Les obsèques de Tshisekedi se dérouleront-elles dans le calme ? Quelle sera l’attitude des forces de l’ordre ? Passées les funérailles, la politique reprendra-t-elle ses droits ou plutôt ses mauvaises habitudes ? L’enjeu est une véritable alternance politique mais l’alternance n’appartient pas vraiment à la culture politique congolaise.
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