ANALYSES

« Pour vaincre Daech dans la région, il faut d’abord rétablir la paix entre le Pakistan et l’Afghanistan »

Presse
17 février 2017
Interview de Karim Pakzad - La Croix
Comment expliquer les attentats perpétrés cette semaine ?

Plusieurs choses sont importantes. Tout d’abord, aujourd’hui la lutte contre les talibans, mais aussi contre Daech, est menée conjointement par l’Afghanistan et le Pakistan. Il faut bien comprendre qu’une rivalité existe entre ces deux entités, même si aujourd’hui, c’est Daech qui tend à prendre l’avantage.
L’attentat commis par les talibans à Peshawar mercredi 15 février a fait six morts, celui organisé par Daech, jeudi 16, en a fait plus de 70. En Occident, on sous-estime trop le fait que Daech n’est pas seulement présent à Rakka et à Mossoul. S’il est militairement possible de vaincre l’organisation dans ces zones, cela ne signifiera pas sa fin définitive. Daech est une organisation tentaculaire qui a étendu son influence un peu partout. Ce qui se passe en Afghanistan et au Pakistan depuis deux ans est extrêmement dangereux, et si on n’y porte pas suffisamment attention, ces deux pays finiront par remplacer la Syrie et l’Irak.

Qu’incarne le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif ?

Une des grandes faiblesses du Pakistan, c’est sa classe politique. Depuis la mort du dictateur Zia-ul-Haq en 1988, le Pakistan a été alternativement gouverné par deux personnes. Benazir Bhutto, aujourd’hui décédée, et Nawaz Sharif. Tous les deux ont, tour à tour, occupé le poste de premier ministre trois fois. Il n’y a pas de renouvellement de la classe politique et le Pakistan souffre de cette stagnation.
En ce qui concerne Nawaz Sharif, au début de ce mandat, il a essayé de négocier avec les talibans. Mais comme cela n’aboutissait à rien, il y a deux ans et demi, il s’est résolu à lancer d’importantes offensives contre leurs bases. L’opération fut un grand succès, ils ont été durablement affaiblis. Chez les talibans, comme dans toute organisation de ce type, quand les « jusqu’au-boutistes » trouvent une organisation qui va plus loin dans la terreur, ils y adhèrent. Si Daech a pu se développer dans la région, c’est donc parce que la situation était favorable. Aujourd’hui, la branche régionale de Daech englobe l’Afghanistan, le Pakistan et l’Asie centrale.

Faut-il s’attendre à d’autres attentats au Pakistan ?

Il faut comprendre que chasser l’État islamique de Mossoul ou demain de Rakka, ne mettra pas fin à Daech. Aujourd’hui, l’organisation est présente dans tout le monde musulman, en Libye, au Yémen, dans le Sahel, ou encore en Égypte… Tout cela va se poursuivre.
Pour vaincre Daech dans la région, il faudra d’abord régler le fond du problème, les relations entre le Pakistan et l’Afghanistan. Tant que la paix ne sera pas revenue entre les deux pays, il y aura des conflits et Daech subsistera.
Il y a une autre tendance importante à prendre en compte, la complicité grandissante entre les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël pour tenter de déstabiliser l’Iran. Cette situation fait naître un certain espoir dans les rangs de Daech. Si le front en Syrie et en Irak venait à disparaître, ils se disent que tout n’est pas fini, que d’une certaine manière, un « avenir » les attend dans cette zone du monde.
Face à l’échec américain et à l’impuissance des autres pays occidentaux, la Chine et la Russie ont pris des initiatives. Mercredi 17 février par exemple, Vladimir Poutine a invité les Talibans à venir à Moscou. Les Russes ont pris conscience que le danger se rapprochait de leur région et qu’il leur fallait agir. L’Union européenne et les États-Unis sont trop absorbés par la lutte contre Daech en Syrie et en Irak ou les attentats perpétrés en Europe, pour s’intéresser à ces régions.

Recueilli par Salomé Parent
Sur la même thématique