ANALYSES

L’Arabie saoudite et la Nouvelle Route de la Soie : vers un rôle accru ?

Tribune
10 février 2017
Par Brahim Kas, diplômé d’IRIS Sup’, doctorant à l’Université Paris 8 sous la direction de Pascal Boniface
L’Arabie saoudite va-t-elle participer au projet de zone économique de la Nouvelle Route de la Soie (NRS) ? Le projet saoudien « Vision 2030 » et le projet pharaonique chinois « une ceinture, une route » peuvent-ils s’imbriquer ? Le projet saoudien vise à rendre l’économie saoudienne plus robuste et sortir de l’ère tout pétrole. Les entreprises chinoises sont déjà présentes sur le marché saoudien et souhaitent participer aux développements d’infrastructures : réseaux ferroviaires, des malls (centre commerciaux), usines de dessalement d’eau, raffineries.

En janvier 2016, Xi Jinping avait visité l’Egypte, l’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran, avec l’idée de construire de nouveaux tronçons d’une nouvelle voie de communication. La (NRS) s’appuie sur l’antique « route de la soie » et une voie maritime, imaginée par le célèbre amiral musulman Zheng He au XVe siècle. Elle traversait historiquement, entre autres, l’Iran, l’Irak et la Syrie, et permettrait aujourd’hui de sécuriser les approvisionnements énergétiques chinois et « bousculer » les équilibres internationaux.

La Chine entretient de bonnes relations avec l’Iran, tout en restant extérieur au conflit actuel entre Téhéran et Riyad. Dans le même temps, Pékin développe des exercices inédits de coopération militaire avec Riyad, tout en construisant des bases militaires le long des océans Indien, Atlantique et Pacifique, notamment à Djibouti et le port de Gwadar au Pakistan. La NRS offrirait à la Chine d’être moins vulnérable dans les détroits d’Ormuz et de Malacca, zone potentiellement conflictuelle des approvisionnements énergétiques.

La coopération sino-saoudienne

La Chine est le plus grand importateur mondial de pétrole, 80 % de ses importations proviennent du Moyen-Orient, principalement d’Arabie saoudite (70 milliards de dollars), par le biais de ses grandes entreprises publiques, telles SINOPEC ou la CNPC. La Saudi Aramco, plus grande compagnie de pétrole au monde, envisage d’approfondir ses investissements dans les secteurs de la raffinerie, de la pétrochimie avec les entreprises chinoises. La première grande raffinerie saoudienne de Yanbu est entrée en fonction le 20 janvier 2016 avec d’importants capitaux de SINOPEC. Ces deux compagnies ont signé un nouvel accord stratégique de coopération pour se déployer dans les marchés mondiaux. Ainsi, la relation pragmatique sino-saoudienne pourrait être un levier pour l’économie saoudienne hors pétrole.

Les comptes du royaume se sont fortement dégradés, depuis la chute vertigineuse du prix du baril (juin 2014), et Riyad privilégie aujourd’hui, au sein de l’OPEP, une augmentation des cours avec l’objectif d’atteindre les 70 dollars. Ce prix garantirait une marge de profit aux fabricants chinois et le financement de projets d’infrastructure en Arabie saoudite.

Pour financer les projets d’infrastructure, les entreprises chinoises bénéficient de la fameuse Exim Bank (Export-Import Bank of China), qui disposerait de plus d’un tiers des liquidités mondiales, ce qui permettrait d’investir dans les infrastructures ferroviaires en Arabie saoudite. Cette perspective permettrait à la fois aux saoudiens d’accompagner le plan « Vision 2030 » et aux Chinois de compléter le maillage de la Nouvelle Route de la Soie à travers le royaume pour ouvrir d’autres voies terrestres et maritimes aux marchandises chinoises à destination de l’Afrique dans laquelle elle est déjà fortement implantée.

En 2009, la China Railway Engineering avait remporté la première phase d’un contrat de 1,8 milliards de dollars pour la construction d’une ligne à grande vitesse entre la Mecque et Médine. La Chine se verra-t-elle attribuer le pharaonique projet international ferroviaire qui traverserait les six pays du Conseil de coopération du Golfe ?

Pékin a créé un outil puissant dans la stratégie de la NRS, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB en anglais), concurrente implicite de la Banque mondiale. Elle compte parmi ses 57 membres l’Arabie saoudite, le Pakistan, l’Indonésie, la Malaisie, Oman et l’Iran, pays clefs de la route de la Soie. La Chine entend assumer le leadership mondial dans le domaine du financement des infrastructures mais elle a besoin d’une stabilisation du Moyen-Orient pour déployer ses investissements économiques, et l’Arabie saoudite est un acteur clef de cette région.

La majorité des musulmans habitent le long de la Route de la Soie

La Chine compte 20 millions de musulmans, et la majorité d’entre eux (les Ouïghours) sont dans la région autonome du Xinjiang, qui constitue le cœur de la NRS du XXIe siècle avec les villes d’Urumqi et de Kashgar. Cette région autonome connait des troubles violents réguliers qui trouvent écho dans le monde musulman. Des milliers de Ouïghours combattent au nord de la Syrie et leur retour suscite la plus grande vigilance de Pékin. Chaque année, plus de 15000 Chinois se rendent à la Mecque pour effectuer le pélerinage, et environ 80% des musulmans dans le monde habitent le long de la route de la Soie : Turquie, Indonésie et Pakistan.
Le port en eau profonde pakistanais de Gwadar, proche du détroit d’Ormuz, est aujourd hui géré par une compagnie chinoise. Prochainement relié par voie ferroviaire au Xinjiang, Gwadar est stratégique pour l’importation de pétrole par la Chine.

Le soft power chinois au Moyen-Orient

La télévision nationale chinoise a diffusé une série en 59 épisodes (en 2009) sur la vie et les voyages de Zheng He en soulignant le caractère pacifique de ses expéditions maritimes sur la route maritime de la Soie.

Dans le film à grand spectacle chinois « Dragon Blade » (2015), les célèbres acteurs Jackie Chan et John Cusak délivrent un message géopolitique au monde que l’on pourrait interpréter, du moins vu de Pékin, par « les Empires ne sont pas ennemis, et peuvent coopérer dans leur intérêt réciproque », faire du « gagnant gagnant » dans un esprit pacifique avec la Nouvelle Route de la Soie, et que chaque nation puisse en tirer profit.

Si un blocus maritime des États-Unis en mer de Chine devait subvenir, la route terrestre par le Pakistan deviendrait cruciale pour un accès de la Chine à l’océan Indien et le golfe Arabo-Persique. L’influence de l’Arabie saoudite dans le monde musulman et sa relation privilégiée avec le Pakistan ferait de Riyad un acteur incontournable de la Nouvelle Route de la Soie et le Moyen-Orient, qui demeure une zone sismique des relations internationales, à l’heure où la politique étrangère américaine devient une inconnue. Va-t-on assister à la construction d’une convergence d’intérêts entre la Chine et l’Arabie saoudite ?
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