ANALYSES

Sous-marins norvégiens : l’Allemagne devient-il le pays qui organise la coopération en matière d’armement en Europe ?

Tribune
10 février 2017
Après l’annonce du choix de l’entreprise allemande TKMS par la Norvège, le 3 février 2017, pour la fourniture de 4 sous-marins, la première réaction serait de dire « 1 partout » entre TKMS et DCNS. En effet, l’Australie avait choisi en avril 2016 l’entreprise française DCNS pour lui fournir 12 sous-marins. On ajoutera aussitôt que le nombre de sous-marins dans le contrat australien est plus important et que les bâtiments commandés sont d’un tonnage supérieur au bateau norvégien, l’impact économique du contrat australien est bien plus grand pour DCNS que celui du futur contrat norvégien pour TKMS. Ces comparaisons sont utiles si on essaie d’analyser la compétition que se livre l’entreprise allemande et l’entreprise française sur le marché des sous-marins à l’exportation. On ajoutera aussi à cette comparaison que DCNS estime que son offre à la Norvège était supérieure notamment dans le domaine de la lutte anti sous-marine. Pour autant, la décision norvégienne appelle d’autres commentaires que cette stricte analyse comptable dans le sens où ce choix révèle peut-être un changement dans le mode de coopération et d’acquisition des pays européens dans le domaine de la défense.

En effet, après avoir lancé un appel d’offre pour la fourniture de ces sous-marins, la Norvège a pris la décision de sortir de l’appel d’offre et de nouer une coopération avec l’Allemagne sur la base d’une évolution du sous-marin T-212, actuellement en service dans les marines allemande et italienne.

Même si la Norvège n’est pas membre de l’Union européenne et que le droit communautaire ne lui est pas applicable, on ne peut s’empêcher de penser que ce pays s’est inspiré de la faculté offerte par l’article 13 de la directive européenne 2009-81 sur les marchés de défense et de sécurité qui permet d’exclure du champ de la directive « les marchés passés dans le cadre d’un programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement ». Dans ce cas, le lancement d’un appel d’offre n’est plus nécessaire puisqu’un des objectifs de la directive – favoriser la coopération en matière d’armement et la mutualisation des capacités militaires -, est rempli puisque la Norvège et l’Allemagne bénéficieront à partir des années 2025[1] d’un sous-marin identique. Simplement, la mutualisation capacitaire s’inscrit plus dans le cadre de l’OTAN, la Norvège étant membre de cette organisation, que dans celui de l’Union européenne.

On peut se demander d’ailleurs si le choix des Norvégiens pour un sous-marin fabriqué par TKMS n’est pas « framework nations concept (FNC) compatible ».

FNC est une initiative qui a été lancée par l’Allemagne en septembre 2014 dans le cadre de l’OTAN. Elle vise à insérer les forces armées des pays européens de l’Otan qui ont les capacités les plus faibles dans le cadre d’une capacité commune organisée par une nation cadre qui dispose de forces armées plus importantes. 16 pays sont aujourd’hui partie prenante au concept FNC[2], dont le plus important est l’Allemagne. Cette initiative s’est focalisée dans un premier temps sur les capacités structurelles et logistiques, ce que l’on appelle les enablers, dans le cadre de quatre clusters portant sur le déploiement des quartiers d’état-major, sur les effecteurs, sur la protection (défense aérienne et défense anti-missile) et sur les capacités de soutien en opération (qui comprend notamment les capacités patrouille aérienne et les systèmes de drones MALE). Même si FNC porte sur la mutualisation des forces, on peut estimer que l’initiative ne sera pas sans conséquence en termes de coopération européenne sur les équipements du futur et donc sur la consolidation industrielle dans le domaine de l’armement.

De ce fait, même si la capacité sous-marine ne fait pas partie des clusters formellement identifiés dans FNC, on ne peut s’empêcher de penser que le choix des Norvégiens s’inscrit dans une démarche similaire à celle qui a présidé à la constitution de FNC. En effet, la Norvège appartient au club FNC, la Pologne, qui a lancé un appel d’offre pour la fourniture de sous-marins, est également partie prenante à FNC et pourrait se joindre à cette coopération, ainsi que les Pays-Bas[3], et ce dans ce qui serait le cadre d’un « cluster sous-marin » qui serait créé et piloté par l’Allemagne.

En conclusion, il est fort probable que l’offre de TKMS sur le sous-marin norvégien s’inscrit dans le cadre d’une stratégie politique plus globale de l’Allemagne visant à mieux organiser les mutualisations capacitaires, par ailleurs souhaitées par l’Union européenne, l’OTAN ainsi que les Etats membres de ces organisations, autour de Berlin, « les petits s’agrégeant derrière un plus gros ».

La France serait donc bien inspirée de prendre en compte ce facteur non comptable dans l’organisation de ses coopérations et exportations d’armement futurs au sein de l’Union européenne.

[1] La livraison des bâtiments devrait s’étaler entre 2025 et 2030.
[2] Allemagne, Belgique, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Danemark, Estonie, Hongrie, Luxembourg, Lituanie, Lettonie, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Roumanie, Slovaquie
[3] Ce dernier pays est cité dans le communiqué publié par le ministère de la Défense norvégien rendant public la décision de la Norvège : Germany chosen as strategic partner for new submarines to Norway.
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