ANALYSES

La patrie entre Espagne et Pays basque

Presse
24 janvier 2017
Patria, La patrie. 100.000 exemplaires vendus de septembre à décembre 2016. Une adaptation cinématographique en route. La patrie basque, basque d’Espagne, a fait rebondir les ventes en librairie. Elles en avaient bien besoin, plusieurs dizaines de points de vente ayant disparu outre Pyrénées ces dernières années. Paradoxe en ces temps de divorce entre Madrid et sa périphérie catalane, le roman, c’est d’un roman en effet qu’il s’agit, fait un tabac à Barcelone, aussi bien qu’à Madrid et à Bilbao.

« Patria » enfonce le lecteur dans les va et vient d’individus flottants, perdus dans les figures imposées par les donneurs d’ordre politiques. L’épaisseur de vécus en clairs obscurs, la grisaille du quotidien, brouillent le regard que d’un côté et de l’autre on porte sur « les évènements » du Pays-basque, le terrorisme, (ETA), le contre-terrorisme, (les GAL), l’indépendantisme basque, l’Espagne et son unité. « Patria », de façon inattendue, révèle un divorce entre lecteurs-citoyens-électeurs et « responsables » partisans de tous bords.

Depuis la guerre civile, -au moins-, l’Espagne n’en finit pas de coudre, tailler et redécouper, la carte et la charte de son agrégat national. Le Pays-basque pendant des années a joué le rôle de mouton noir, rebelle, violent, inassimilable, en apparence, à toute tentative de compromis avec l’Espagne et Madrid. Les Catalans, abandonnant leur talent négociateur, ont pris le relais depuis un lustre. Le succès inattendu de « Patria », écrit par un auteur basque à cent pour cent, natif de Saint-Sébastien (Donostia), Fernando Aramburu, met le doigt sur une attente restée jusqu’ici cachée. Celle de trouver enfin, après tant de haines, et de peines, un terrain d’entente.

Le poids d’un passé qui a divisé les cœurs et les esprits, le poids des crimes commis au nom de la patrie basque et de l’Espagne une et indivisible, le choc des trains partisans depuis les débuts de la transition démocratique ont fatigué sans doute les volontés les plus radicalisées. La dernière aventure indépendantiste du Parti nationaliste basque, tentative avortée d’organiser un référendum d’autodétermination en 2006, les ultimes attentats d’ETA, soldés par la mort absurde de deux immigrés équatoriens, « la fin de territoires » nationaux en perte de compétences érodées par la mondialisation et l’européisation, ont assoupli les discours souverainistes antagonistes.

Prenant le contrepied de la voie catalane, après avoir observé le cours du monde et celui de l’Europe communautaire, PNV et PSE, – Parti nationaliste basque et Parti socialiste d’Euskadi, noyau historique des forces politiques basques ont posé la question basque en termes institutionnellement solubles dans la Constitution espagnole. Les deux partis, ont décidé de gouverner ensemble, au lendemain du dernier renouvellement du parlement basque, le 24 novembre 2016[1]. Pour élargir l’autonomie reconnue à la Communauté autonome basque par la Loi fondamentale espagnole.

L’échec du Plan Ibarretxe, plan devant conduire le Pays Basque à l’indépendance, porté par le PNV, a forcé le changement stratégique. Exit Ibarretxe et son équipe. Le successeur, Iñigo Urkullu, a détricoté la méthode. Adaptant l’objectif d’autogouvernement qui reste le cap Nord de la boussole nationaliste aux conditions du monde. La revendication indépendantiste, a-t-il expliqué de façon répétée, est une vieillerie héritée du XIXème siècle. L’ETA l’a défendue, mais « ETA, c’était hier »[2]. « Demander (l’indépendance) dans une union européenne de 28 Etats, avec d’autres en attente (..) me parait problématique. La UE est fondée sur l’interdépendance, les souverainetés partagées, je crois que le défi est celui d’imaginer l’insertion d’un Etat construit comme l’espagnol [3]» »Dans un monde globalisé l’indépendance est pratiquement impossible. (..) C’est un concept du XIXème siècle. Notre nationalisme est du XXIème siècle, (..) de souveraineté partagée »[4]. Les temps modernes sont européens et globaux. Les Etats sont déconstruits par le cours des choses. Nul besoin de perdre temps, énergie à défier un château de carte qui s’affaisse sous les coups de butoir de vagues globales et bruxelloises. Le PNV, écartant toute option majoritaire avec Sortu, formation nationaliste radicale, a choisi de gouverner avec les socialistes. Cette alliance, a commenté Inigo Urkullu, en réponse à une question sur l’option indépendantiste, « permet d’avancer vers l’autogouvernement, (..) en accord avec d’autres partis, en respectant les majorités ».[5]

Il suffit a-t-il poursuivi de surfer sur la vague. De saisir les moments de difficulté du pouvoir en place à Madrid, ou des grands partis politiques pour négocier un peu plus de compétences pour Euskadi (le Pays Basque), et ainsi sans recours aux extrêmes, qu’il s’agisse d’un conflit constitutionnel autour de l’autodétermination, ou de la violence, d’arriver progressivement à une sorte de responsabilité partagée. Iñigo Urkullu très logiquement ne manque jamais une occasion de préciser que « le droit à décider » des Basques, tel qu’il l’entend, n’a rien à voir avec celui des partis nationalistes et indépendantistes catalans[6]. Fort de cette allégeance à la Constitution espagnole il en demande le respect par le gouvernement central comme par les autres présidents de régions autonomes. Il a ainsi dans son discours de fin d’année 2016 rappelé à Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol, qu’il est ouvert au dialogue. Et donc qu’il demande au gouvernement de ne plus recourir aux tribunaux pour contester les lois votées par le parlement basque. A l’intention de ses homologues, chefs de régions autonomes, qui exigent une égalité de traitement entre toutes les collectivités territoriales, il rappelle que la Loi fondamentale reconnait dans une disposition additionnelle des droits historiques, au Pays basque[7].

Une enquête[8] publiée en décembre 2016 complète la perception intuitive de l’écrivain Fernando Aramburu. Les Basques sont divisés en multiples sensibilités. 31% voteraient en faveur de l’indépendance. 39% y seraient opposés. Mais les nationalistes représenteraient 46% de l’électorat. Et les non nationalistes 50%. 47% considèrent qu’il existe une nation basque. Et 67% souhaitent la perpétuation avec ou sans changement du système autonome. Conclusion, beaucoup de romans »Patria » achetés, et une cote de popularité exceptionnelle pour le président du gouvernement, le lehendakari Urkullu. Qui « travaille pour plus d’autogouvernement, sans mélanger cela avec l’indépendance, (parce que) dans l’UE l’unilatéralité n’a pas d’avenir [9]».

[1] Date du débat d’investiture. Les élections se sont tenues le 25 septembre 2016
[2] In « El Pais », 5 juin 2011
[3] In « El Pais », 25 janvier 2016
[4] In « El pais », 4 décembre 2016, réponse à Luis R. Aizpeolea
[5] In « El Pais, 4 décembre 2016
[6] Voir, entretien accordé au quotidien « El Pais », 3 octobre 2014
[7] In « El Pais », 2 janvier 2017
[8] Euskobarómetro, sondage sur le sentiment indépendantiste
[9] Déclaration faite le 19 décembre 2016
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