ANALYSES

« Pour le Mali, organiser un tel sommet est une démonstration »

Presse
12 janvier 2017
Quelles sont les relations entre la France et la Mali à la veille sur Sommet Afrique-France qui se tient à Bamako ?

Les relations sont globalement plutôt bonnes. Il est évident que la France a joué un rôle central avec l’opération Serval et dans la mise en place du dispositif Barkhane. Ceci étant, il ne faut pas se cacher le fait que la situation du Mali n’est pas du tout sécurisée. Il y a de véritables problèmes au niveau politique avec un manque véritable de projet stratégique. Les accords d’Alger sont au ralenti et la situation d’un point de vue sécuritaire de la part des opérateurs français, n’est pas considérée comme étant suffisamment satisfaisante. C’est donc ça l’arrière-plan des relations entre la France et le Mali.

Pourquoi un énième sommet Afrique-France ?

Avec ce sommet, malgré un côté un peu désuet, il y a l’aspect communication, l’aspect présence des chefs de l’État. Le fait qu’un pays comme le Mali soit capable d’assurer la gestion d’un tel sommet, c’est en quelque sorte une démonstration. On est aussi dans la tradition des relations entre l’Afrique et la France, qui s’appelle Afrique-France aujourd’hui et plus France-Afrique. Ce sommet vient aussi en réponse aux sommets Afrique-Inde ou Chine-Afrique, même si ce devrait être plus une réponse Europe-Afrique. D’un point de vue économique, les relations entre la France et l’Afrique sont quand même fortement ralenties puisque globalement, la France a maintenu ses parts de marché en valeur depuis 2000 mais a perdu la moitié des parts de marché par rapport aux autres partenaires notamment émergents. En dehors des grands groupes français, il y a une assez grande réticence des PME à investir, une certaine frilosité des milieux économiques vis-à-vis de l’Afrique et des pays comme le Mali. Donc, ce sommet devrait servir à bâtir de nouvelles relations, étant entendu que pendant ce sommet sera aussi abordé l’aspect sécuritaire qui est très important. Le thème de ce 27e sommet c’est aussi le partenariat et derrière le partenariat tout l’aspect économique qui concoure à la paix et à l’émergence.

Ce sommet est donc très stratégique pour la France ?

La France se doit d’être présente en Afrique, ne serait-ce que dans une vision stratégique future puisque le devenir d’un pays comme la France et de l’Europe, dépend très largement du devenir de l’Afrique. Les questions migratoires, sécuritaires, environnementales, la pression démographique sont des questions communes. Elles ne peuvent être uniquement gérées par les Africains. Il est donc évident, dans cette optique, que les relations franco-africaines sont déterminantes. Dans le domaine de la coopération économique, le patronat français, le Medef, sera présent. On l’accuse beaucoup d’être en retrait vis-à-vis des opportunités en Afrique. Les Allemands par exemple sont beaucoup plus présents que la France. L’Afrique est un marché en croissance, avec une classe moyenne qui se constitue, la possibilité d’utiliser les nouvelles technologies dans les domaines énergétiques, dans le domaine du numérique ou de la science. Il y a une main-d’œuvre qui est jeune, disponible, plutôt optimiste, une jeunesse qui en veut.

La question des migrants agite actuellement la société malienne, en plus d’être un dossier brûlant pour le France et l’Europe. Sera-t-elle un des enjeux de ce sommet ?

C’est en effet une question importante qui sera abordée. Il y a beaucoup de Maliens en France et de bi-nationaux qui sont au Mali, donc cette question est particulièrement importante pour les Maliens. Maintenant la question est de savoir comment ces flux vont être régulés et comment cela sera pris en compte dans des relations unilatérales. Le dossier migratoire ne concerne pas simplement les pays sahéliens mais concerne aussi les pays du Maghreb. Un sommet ad hoc pour régler les questions migratoires devrait réunir les pays de l’Europe du sud qui sont concernés, 5 pays du Maghreb et 5 pays sahéliens, donc un groupe 5+5+5. Là, on pourrait avoir véritablement une coopération efficace. Cette coopération ne me paraît pas possible quand il y a 53 États réunis dans un sommet dont certains ne sont pas du tout concernés par ces questions.

Ce sommet sera pour Hollande une vitrine en forme de bilan de sa politique africaine. Pensez-vous que le président IBK, en replaçant le Mali sur la scène internationale, pourra capitaliser là-dessus pour inverser sa côte de popularité ?

Ce sommet est symbolique car il sera le dernier rendez-vous africain du Président François Hollande qui a beaucoup investi sur le Mali, notamment avec l’opération Serval, qui est une réussite de son mandat. Ceci étant, la force Barkhane risque d’échouer. Les militaires français sont globalement bien perçus mais s’ils s’enracinent, ils risquent d’être finalement vus comme une force d’occupation. Il faut un relais par une armée malienne et ce relais n’est pas encore assuré et les défis sont considérables. Or, pour peu que la France reste trop longtemps en première ligne, on sait très bien ce qu’il va se passer. Il y aura des bavures, des viols de la part de militaires, on voit ça partout, donc le Mali n’y échappera pas. Pour le Président Ibrahim Boubacar Keïta, c’est vrai que sa popularité n’est pas très haute. Il a peut-être manqué d’une forte volonté politique. Si je compare, par exemple, au Burkina Faso, il y a plus de fatalisme, d’accommodements avec des situations de rente que véritablement un projet politique fort de réintégration ou de règlement de la question touarègue, qui a toujours été, depuis l’indépendance, une question qui n’a jamais été prise à bras-le-corps par les gouvernements successifs. Il y a une faillite du monde politique au Mali. Je suis très frappé par une absence de prise en compte des défis sociétaux par un projet collectif qui mobilise suffisamment les populations et il y a beaucoup de domaines où il n’y a pas eu suffisamment d’avancées significatives. Ce sommet pourrait rehausser son crédit mais il faut un volontarisme politique et une restructuration des fonctions régaliennes de l’État à tous les niveaux.

Propos recueillis par Olivier Dubois
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