ANALYSES

Perspectives économiques 2017 : une rupture avec la mondialisation ?

Interview
11 janvier 2017
Le point de vue de Sylvie Matelly
Quelles sont les tendances et les perspectives de l’économie mondiale pour cette année 2017 ?

Les perspectives pour 2017 restent incertaines. La croissance mondiale devrait avoisiner les 3%. Elle devrait se maintenir en Asie, se confirmer en Europe, en Amérique latine ou en Russie. Le ralentissement économique de la Chine se poursuit mais avec une croissance à 6 %, cela reste tout de même élevé. La reprise des prix des matières premières en 2016 et du pétrole à la fin de l’année devrait soutenir une certaine reprise en Afrique et au Moyen-Orient, très dépendants de leurs exportations de commodités.

Pour autant, l’existence d’incertitudes de diverses natures pourraient remettre en cause ces perspectives. Ces incertitudes résultent à la fois de tendances lourdes et de long terme et de chocs plus récents. Pour résumé, les tendances lourdes sont liées aux ruptures en cours dans le système économique : remise en cause de la mondialisation et de la libéralisation économique, transition énergétique, mutation de l’économie en général vers de nouveaux modèles (économie collaborative, uberisation…) et de l’économie chinoise en particulier. Elles obligent à repenser nos modèles et notre manière d’analyser mais aussi de vivre l’économie. Or, cela se révèle difficile et conduit à la cohabitation de l’ancien système et des anciens réflexes avec de nouveaux acteurs et de nouvelles règles. Cela crée non seulement des tensions et des incertitudes mais aussi des conflits internes, nationaux ou internationaux, économiques, politiques ou sociaux.

Parallèlement, l’économie mondiale est également confrontée à un certain nombre de chocs comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. De nouveaux chocs politiques en 2017 ne sont pas à exclure… Cela pèse sur la croissance. L’Europe, par exemple, fait face à de telles incertitudes. Un retour à la croissance est certes envisagé mais le doute plane quant aux modalités par lesquelles s’orchestrera le Brexit en 2017. Le doute plane également quant aux élections qui s’annoncent en France ou en Allemagne. Pour ce qui est du Brexit, les négociations aboutiront-elles sur un divorce facile et efficace, satisfaisant toutes les parties ? Toute complication risque d’être un facteur de crise pour l’Europe et son économie.

D’autres chocs peuvent également advenir. Cela pourrait-être une crise économique en Chine qui, encore récemment, a été frappée par une crise des marchés obligataires. Un choc pourrait venir des politiques économiques de certains Etats qui, au fil du temps, deviennent de plus en plus unilatérales. Nous sommes en effet dans une tendance de repli sur soi qui tend à freiner la croissance économique. Enfin, des facteurs plus géopolitiques pourraient réduire la confiance des investisseurs dans certaines régions du monde et, par conséquent, engendrer des externalités négatives sur l’économie mondiale.

Si la situation semble s’améliorer, l’économie mondiale n’est pas exempte de tout risque et de toute incertitude.

La crise de 2008 a-t-elle engendré une rupture avec la mondialisation telle qu’elle est conçue aujourd’hui ainsi qu’une rupture avec notre modèle économique au niveau mondial ?

Je parlerais plutôt de remise en cause de la mondialisation bien qu’il existe aujourd’hui une réelle rupture avec le modèle économique de consommation de masse, d’ultra-financiarisation et de gaspillage systématique.

Pour autant, la remise en cause du système actuel ne date pas de 2008. En 1971 déjà, dans le rapport « Halte à la croissance », les experts expliquaient pourquoi ce modèle de développement n’était pas tenable. En 1987, c’est le rapport Bruntland qui dresse un constat similaire puis les altermondialistes qui font capoter une conférence de l’OMC à Seattle en 1999 et qui donnent naissance aux forums sociaux mondiaux…

Depuis 40 ans, les critiques se multiplient, le modèle est contesté. La crise de 2008 marque cependant un tournant car elle correspond à une prise de conscience de masse et parce qu’elle pousse au plus loin les excès du système, légitimant sa remise en cause auprès d’un large public. Une majorité de personne se questionne alors sur notre modèle et réalise que même s’il crée beaucoup de richesses, il peut aussi détruire par une prise de risque excessive : des individus sont expulsés de chez eux, d’autres se retrouvent au chômage parce que certains ont joué au poker menteur avec leur argent ou leur force de travail. On se rend également compte que le système, malgré toutes les richesses qu’il crée, n’est pas en mesure de les redistribuer de manière juste, que les inégalités se sont creusées insidieusement, mettant certains individus dans des situations d’une précarité extrême quand d’autres ne savent que faire de leur argent… La crise de 2008 symbolise de ce point de vue tous les excès du capitalisme, la matérialisation de la cupidité de certains, payée au prix fort par les plus fragiles et par ceux qui n’avaient pas forcément pris de risques.

La contestation devient alors politique et parfois extrême et dangereuse. Elle est celle du grand public qui se scandalise, partout dans le monde, des phénomènes qui, par le passé, suscitaient presque l’indifférence. C’est par exemple le cas de la corruption. Dans les années 1970, les pots-de-vin étaient déductibles des impôts et considérés comme banals. C’est impensable aujourd’hui ! Les exemples du Brésil et de la Corée du Sud constituent une rupture puisque des soupçons de corruption ont conduit à la chute de leur présidente respective.

En ce sens, la crise de 2008 a vraiment fait bouger les lignes. Aujourd’hui, l’économie mondiale manque encore de règles communes et d’une gouvernance mondiale afin de réguler et de matérialiser cette prise de conscience. Pour l’instant, chaque pays applique ses propres règles, ce qui amplifie également l’impression de repli sur soi. On assiste à une sorte de fragmentation de la mondialisation. Traduit-elle une rupture, un retour en arrière, ou une évolution logique ? Si l’on ne peut pas y répondre aujourd’hui car nous sommes encore face à des tendances, la question mérite d’être posée.

La Réserve fédérale américaine (FED) a décidé en décembre, une hausse du taux directeur américain. Que signifie cette décision ? Par cette mesure, la FED a-t-elle essayé d’anticiper les politiques économiques du futur président américain Donald Trump ?

Officiellement, les mesures prises par la FED ne sont pas présentées comme une conséquence à l’élection de Donald Trump mais une décision logique par rapport à la confirmation, en cette fin d’année 2016, que les résultats économiques de la croissance ou de l’emploi étaient plutôt bons. Cela faisait plusieurs mois que la FED annonçait, puis reportait, l’augmentation des taux. Le report de septembre a surpris nombre d’observateurs, il a été justifié par le fait que l’économie américaine semblait avoir une croissance moins ferme que ce qu’il avait été supposé début 2016.

En effet, avec 4,6% de chômeurs, on peut considérer que les Etats-Unis sont en situation de plein-emploi. Ce chiffre reste cependant discutable tant la précarité est importante aux Etats-Unis pour les employés les moins qualifiés. Certaines personnes ont, certes, accès au marché du travail mais elles doivent cumuler deux voire trois emplois pour joindre les deux bouts. Pour autant, le chômage est très faible.

L’augmentation des taux, le mois dernier, était donc une décision légitime car, en période de plein-emploi, le risque d’inflation est plus fort. Une croissance à 3%, comme c’est le cas aux Etats-Unis, crée des emplois. Mais puisque le pays est en situation de plein-emploi, la main d’œuvre est plus difficile à trouver, d’autant plus lorsque le pays en question ferme ses frontières à l’immigration. Face à une offre d’emploi abondante, les salariés sont en mesure d’obtenir des meilleurs salaires, ce qui est une bonne chose surtout aux Etats-Unis où les inégalités sont criantes. Pour autant, les rigidités à la hausse dans certains secteurs peuvent créer des pénuries de main-d’œuvre donc une offre réduite et entraîner une augmentation des prix.

La FED a conscience du risque d’inflation. Elle a sans doute également réalisé que ce risque a pris de l’ampleur avec l’élection de Donald Trump, dont l’administration nourrit le projet d’entreprendre des grands travaux comme des constructions d’autoroutes, qui nécessiteront plus de main d’œuvre et augmenteront ainsi le risque inflationniste. D’autre part, ce plan va accroître les dépenses publiques dans un contexte où l’administration Trump prévoit des baisses d’impôts. Avec une baisse des recettes de l’Etat, celui-ci ne sera pas en mesure de financer lui-même le projet. Pour financer les travaux, l’Etat sera, par conséquent, contraint de souscrire à l’emprunt et à s’endetter, alors que les Etats-Unis accusent déjà d’un déficit extérieur lourd.

Par ailleurs, la question est aussi politique. Madame Yellen, l’actuelle présidente de la FED, termine son mandat en 2018 et a peu de chances d’être reconduite. Or, il est probable qu’elle estime que le programme économique de Monsieur Trump est risqué de par l’endettement qu’il va créer, les risques d’inflation qui y sont liés et surtout la dérégulation de la finance qui est annoncée… Soit une situation qui ne va pas sans rappeler, si elle se matérialisait, la situation financière ayant précédé la crise financière aux Etats-Unis. Le resserrement de la politique monétaire pourrait être une tentative pour réduire les marges de manœuvre du nouveau président !
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