ANALYSES

Irak : les enjeux stratégiques de la visite de François Hollande

Interview
4 janvier 2017
Le point de vue de Karim Pakzad
François Hollande était en visite, le 2 janvier, à Bagdad et à Erbil, capitales de l’Irak et de la région autonome du Kurdistan. Quel est le rôle de la France dans la lutte contre le terrorisme dans la région ? En quoi cette visite était-elle stratégique pour Paris ?

La France est l’un des premiers pays à avoir pris conscience du danger que représentait Daech dans la région. François Hollande a rapidement réagi et répondu positivement à l’appel à l’aide du gouvernement irakien, après l’offensive de Mossoul par les djihadistes, en juillet 2014. Dès septembre, l’opération Chammal est lancée. Les raids aériens doivent alors à tout prix empêcher Daech d’avancer vers Badgad et Erbil.

Deux ans et demi après l’apparition de Daech en Irak, force est de constater que la France a vu juste. A partir de 2015, l’organisation terroriste est devenue une menace globale. Elle a la capacité de commettre des attentats partout dans le monde. Son influence s’est étendue en Afrique, au Maghreb, en Asie centrale, notamment en Afghanistan. L’onde djihadiste s’est propagée en Asie du Sud-Est jusqu’aux Philippines.

La visite de François Hollande en Irak et dans la région autonome du Kurdistan irakien est stratégique. En effet, la France est la deuxième puissance militaire présente dans la région. L’armée française mène des raids aériens, forme les forces d’élites irakiennes et les peshmergas kurdes tout en leur fournissant de l’artillerie lourde. Contrairement à la Syrie, dont le destin semble aujourd’hui entre les mains de la Turquie, de la Russie et de l’Iran, la France est en mesure de faire valoir ses arguments quant au devenir de l’Irak.

Alors que l’Etat islamique est devenu une menace concrète pour la France en la frappant sur son sol, son objectif est rapidement devenu celui de la destruction de Daech. En ce sens et contrairement à d’autres puissances, elle a rapidement pris conscience que la victoire militaire contre Daech ne rimera pas avec la fin de l’organisation terroriste. C’est pourquoi François Hollande, lors de sa visite à Bagdad, a évoqué la « reconstruction » de l’Irak. Elle sera aussi bien civile, politique qu’économique. Il faudra notamment rapatrier des centaines de milliers de réfugiés qui ont fui les villes où se sont déroulés les combats comme Falloujah, Ramadi et aujourd’hui Mossoul. Sur le plan politique, une entente devra être trouvée entre les communautés chiites et sunnites. Sur le plan matériel, de nombreuses villes devront être reconstruites et l’Irak n’a pas les moyens d’agir seule.

En marge de la visite de François Hollande, un attentat perpétré par l’Etat islamique a tué 32 personnes. Où en est la lutte contre le terrorisme en Irak ? Daech y perd-il du terrain ?

Depuis 2014, une part importante de territoire a été reprise à Daech. Aux premières conquêtes des djihadistes, l’Irak se dote d’un nouveau gouvernement. Le Premier ministre de l’époque, Nouri al-Maliki, est très critiqué par la communauté sunnite d’Irak, une partie de la communauté chiite ainsi que par la communauté internationale pour sa mauvaise gestion du pays. Il est remplacé par Haïder al-Abadi. Celui-ci met d’emblée d’importants moyens à disposition pour reconstruire l’armée irakienne, reconstruction à laquelle la France prend part. Dès la fin 2014, la contre-offensive est lancée, Daech est chassée de Tikrit. En 2015, Ramadi est libérée. Quelques mois avant la bataille de Mossoul les kurdes et l’armée irakienne reprennent Falloujah aux djihadistes.

En deux ans, la contre-offensive a permis à l’armée irakienne de repousser Daech jusqu’à Mossoul. La reprise de cette ville de deux millions d’habitants sera longue et difficile. D’une part, à cause d’une forte densité de civils présents dans la ville, d’autre part, parce que Mossoul est la capitale de Daech en Irak. Les djihadistes ont préparé leur défense, ils tiendront leurs positions jusqu’à la mort.

Malgré les difficultés, Mossoul sera reprise et Daech vaincue sur le plan militaire. L’enjeu sera alors d’éliminer l’organisation terroriste sur le plan politique. La tâche sera ardue car les djihadistes tenteront de s’implanter parmi les tribus arabes sunnites d’Irak. Malgré une future défaite, Daech ne disparaitra pas totalement et continuera à perpétrer des attentats. Le gouvernement irakien et ses alliés devront mener une lutte implacable contre Daech sur le plan idéologique. L’Arabie saoudite et les pays qui ont, un temps, soutenu Daech devront également prendre part à la lutte.

Comment se dessine l’Irak de demain une fois l’Etat islamique vaincu ? Des tensions entre communautés chiites, sunnites et kurdes risquent-elles à nouveau de diviser le pays ? Le gouvernement irakien acquiert-il la légitimité suffisante pour s’imposer et régir l’ensemble du territoire ?

La reconstruction économique, politique et sociale de l’Irak sera compliquée et dépendra également de facteurs extérieurs. Depuis plusieurs années, l’Irak est le théâtre d’une bataille d’influence entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La naissance de Daech n’est pas indifférente à la rivalité entre les deux puissances chiites et sunnites. En effet, l’Arabie saoudite n’a jamais accepté l’influence iranienne en Irak après la chute de Saddam Hussein. La communauté internationale, notamment les pays qui ont une influence, tels que la France et les Etats-Unis, doit convaincre également les Saoudiens de changer leur politique.

Le gouvernement actuel, issu des élections, est composé, pour l’essentiel, de membres de la communauté chiite considérés proches de l’Iran, même si des Arabes sunnites et des Kurdes participent également au pouvoir. Le premier ministre chiite al-Abadi, est conscient de la nécessité d’intégrer d’avantage les sunnites au pouvoir irakien. Le gouvernement irakien doit trouver le moyen de proposer une participation politique aux communautés sunnites et de les convaincre de rejeter Daech.

En plus d’une entente politique, reste à reconstruire le pays et reloger les centaines de milliers de réfugiés irakiens. Selon les estimations, le coût des reconstructions s’élèveraient entre 200 et 300 milliards d’euros. Malgré une augmentation des revenus du pays suite à la hausse des prix du baril de pétrole, l’Irak ne dispose pas des moyens nécessaires pour assumer seul sa renaissance, elle aura besoin de l’aide de la communauté internationale. En ce sens, la visite de François Hollande était hautement importante.
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