ANALYSES

« La politique africaine du Maroc est pertinente »

Presse
20 décembre 2016
Quelle lecture faites-vous de la présence marocaine en Afrique ?

C’est une politique intelligente du Maroc que de voir dans l’Afrique une source à la fois de relations économiques mais aussi diplomatiques. On voit bien que le Maroc veut réintégrer l’Union Africaine et il y a donc une approche multifonctions du Maroc envers le continent. Elle est économique mais également stratégique et politique. C’est dans l’intérêt du Maroc d’agir de la sorte, c’est une politique pertinente. Du côté des pays africains, si le Maroc se pose comme partenaire, c’est un choix supplémentaire qui s’offre à eux. C’est une opportunité qui peut être «gagnant-gagnant».

Le Maroc a-t-il vraiment le poids et l’expertise de tirer vers le haut les pays africains ?

Le Maroc à lui seul ne peut certainement pas le faire, pas plus que les États-Unis à eux seuls ni la France. Aucune nation ne peut le faire, par contre chacun peut y contribuer.

L’émergence d’acteurs africains en Afrique, comme le Maroc et l’Afrique du Sud serait-elle une source de clashs avec les anciennes puissances coloniales ?

Non, parce que les Occidentaux doivent comprendre qu’ils ont perdu le monopole de la puissance depuis assez longtemps. Cette puissance est désormais globalisée et répartie. La présence du Maroc et de l’Afrique du Sud est une opportunité pour nouer des partenariats. Si le Maroc s’enrichit, c’est un marché plus important pour les pays occidentaux. Il ne faut donc pas uniquement raisonner en termes de concurrence. La concurrence est là, mais le marché s’est élargi. Il vaut mieux avoir une concurrence sur un marché plus grand que sur un monopole plus petit.

Croyez-vous vraiment que l’Afrique se développe économiquement ?

Oui, c’est une évidence. Il y a une croissance globale du continent de 5% par an depuis le début du siècle, malgré quelques échecs tragiques comme la RDC, le Zimbabwe et la Somalie. Globalement, l’Afrique est désormais entrée dans la mondialisation après avoir été mise à l’écart jusqu’aux années 90. Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, il y avait autant de téléphones dans toute l’Afrique que dans la seule ville de Manhattan. Aujourd’hui, plus de 600 millions de téléphones cellulaires sont enregistrés sur le continent. On voit bien que l’Afrique est entrée dans la globalisation et que la croissance économique existe, même si elle est encore conduite par les matières premières et n’est pas suffisamment inclusive de l’ensemble de la population. Ce sont là les deux bémols que l’on pourrait déplorer à l’égard de cette croissance. Il faudrait qu’elle se fasse sur des questions industrielles et soit mieux réparties sur l’ensemble de la population.

Vous parlez de mondialisation, l’Afrique la subit-elle davantage qu’elle n’en profite ?

Aujourd’hui, je dirai qu’elle en tire plus profit qu’elle ne la subit. L’Afrique est très courtisée par les pays européens qui l’avaient un peu délaissée dans les années 90. Elle l’est aussi plus par la Russie et les États-Unis qui étaient partis. Mais elle l’est aussi par l’arrivée de nouveaux acteurs tels que le Japon, la Chine, voire le Brésil. L’Afrique a aujourd’hui plus de choix et n’est plus dans une sorte de dialogue bilatéral imposé avec un ou deux acteurs. Elle a les moyens de faire jouer la concurrence, et bien sûr c’est à elle de la faire jouer. Par exemple, si la présence chinoise a été une aubaine, elle s’est transformée parfois en relations inégales entre la Chine et les pays africains. Mais ceci est en train de se rééquilibrer.

Quel rôle donnez-vous à l’Afrique dans les 5 prochaines décennies ?

Je ne pense pas que l’on puisse faire des perspectives sur les 50 prochaines années. Sur 15 ou 20 ans, c’est possible. Ainsi, je pense que l’Afrique pourra jouer un rôle plus important, mais à condition, et ce n’est pas gagné, qu’elle résolve un problème très important, à savoir la croissance démographique. Certains le présentent comme un avantage, mais je ne pense pas qu’il en soit ainsi. On n’est pas plus puissant si on est plus nombreux. Le fait qu’il y ait 7 enfants par femmes en Afrique de l’Ouest par exemple, est une source de déstabilisation qui peut ralentir la croissance économique et amoindrir le PIB par habitant par rapport au moment des indépendances. Cela, à mon sens, constitue un défi social et sécuritaire.

Propos recueillis par Oumar Baldé
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