ANALYSES

Pourquoi une journée internationale de lutte contre la corruption ?

Tribune
6 décembre 2016
Vendredi 9 décembre sera, pour la neuvième année consécutive, la journée internationale de lutte contre la corruption, organisée pour la première fois en 2008 à l’initiative de l’ONU. Elle commémore le lancement par les Nations unies de la Convention mondiale contre la corruption qui est entrée en vigueur en décembre 2005.

Cette Convention est l’un des tous premiers instruments internationaux juridiquement contraignant pour lutter contre la corruption. Elle a été ratifiée par plus des deux tiers des 193 membres de l’ONU. Le secrétaire général des Nations unies expliquait dans son discours, à l’occasion de cette journée en 2015, que « la corruption s’attaque aux fondements des institutions démocratiques en faussant les élections, en corrompant l’Etat de droit et en créant des appareils bureaucratiques dont l’unique fonction réside dans la sollicitation de pots-de-vin. Elle ralentit considérablement le développement économique en décourageant les investissements directs à l’étranger et en plaçant les petites entreprises dans l’impossibilité de surmonter les « coûts initiaux » liés à la corruption. On pourrait rajouter qu’elle est souvent en cause dans les diverses instabilités politiques, sociales et géopolitiques qui peuplent notre actualité, derrière les récentes élections ou référendum (Brexit, USA, Italie, Colombie ou encore Autriche) ou encore derrière les drames les plus terribles (Bangladesh, Syrie, etc.), planent souvent des affaires de corruption !

Cette Convention des Nations unies, proposée en 2000 dans le cadre des objectifs du Millénaire, vient compléter 30 années de montée en puissance de la lutte contre ce qui a longtemps été considéré un « mal nécessaire » : la corruption.

En effet, c’est un énorme scandale touchant l’entreprise de défense américaine Lockheed, qui poussent les Etats-Unis à mettre en place une nouvelle législation de lutte contre la corruption, le Foreign Corrupt Practice Act (FCPA), en 1977. Le FCPA devient la première loi qui fait de la corruption d’un agent public étranger un crime, prévoyant des poursuites à l’encontre de toute entreprise américaine ou ayant des intérêts aux Etats-Unis. Conscients que ce texte national pouvait pénaliser les entreprises américaines, les autorités du pays vont tenter de pousser les autres pays à aller dans le même sens en mettant en place le même type de législation. Un groupe de travail est mis en place à leur initiative au sein de l’OCDE et mené par Mark Pieth, professeur en Droit et Criminologie de l’Université de Bâle en Suisse.

Parallèlement à cela, en 1993, est fondé à Berlin Transparency International. Cette ONG classe les pays grâce à son indice de perception de la corruption (IPC) et élabore tous les ans un baromètre mondial de la corruption. Parfois accusée d’être un bras armé des Etats-Unis, au prétexte que son fondateur Peter Eigen a été directeur de plusieurs entités régionales de la Banque mondiale, il n’en reste pas moins que cette ONG voit le jour dans un contexte d’après-guerre froide et de globalisation, au moment même où les Etats-Unis tentent de rallier leurs principaux partenaires au sein de l’OCDE ou des Nations unies.

Le groupe de travail de l’OCDE, pour sa part, est chargé d’une étude comparative des différentes législations en vigueur parmi les membres de l’OCDE. Il ne peut que constater que, même si des textes existent dans certains pays, la corruption fait rarement l’objet de poursuites. Il recommande alors l’élaboration d’une convention afin d’harmoniser les législations et les pratiques de lutte. La Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales est adoptée le 17 décembre 1997 par les 35 pays membres de l’OCDE. Elle entre en vigueur en février 1999 et 41 pays y sont aujourd’hui parties prenantes, l’Estonie et l’Afrique du Sud l’ayant ratifié en 2004, Israël au moment de son adhésion en 2008, la Russie en 2011, la Colombie en 2012, la Lettonie en 2014.

Elle fixe le cadre en définissant la corruption comme une infraction pénale et pousse les Etats à mettre en place des législations qui permettront de réellement poursuivre les entreprises ayant ce type de pratiques. La Convention avait, au départ, en 1997, prévu deux phases : la première prévoyait l’adoption d’un cadre juridique de lutte, la deuxième sa mise en œuvre. À partir de 2007, une troisième phase engage les Etats à réaliser des progrès dans l’analyse du phénomène ainsi que dans l’amélioration des dispositifs juridiques pour lutter contre la corruption et leur application concrète. Cette phase 3 consiste à examiner précisément les poursuites réellement engagées et les sanctions prononcées suite à la mise en œuvre de législations de lutte contre la corruption. Une phase 4 est également prévue.

Ce texte a conduit à une réelle intensification de la lutte contre la corruption, d’abord aux Etats-Unis qui n’hésitent plus à poursuivre et condamner nombre d’entreprises, y compris des entreprises étrangères. C’est ainsi que Siemens écopera d’une amende de 800 millions de dollars dans ce pays. Le Royaume-Uni, longtemps accusé de manque de volonté en la matière (Tony Blair ayant refusé de poursuivre BAe Systems dans le cadre du contrat El Yamanah) a adopté en 2010 une législation, leUK Bribery Act, qui est considérée comme la plus sévère jamais adoptée par un pays. La France, enfin, vient de se mettre au diapason de ses partenaires grâce à la loi Sapin II adoptée début novembre. Par ailleurs, si des économies aussi déterminantes que la Chine ou l’Inde ne sont pas parties prenantes de cette convention, elles participent à l’Initiative de lutte contre la corruption en Asie et dans le Pacifique de la Banque asiatique de développement et de l’OCDE (Initiative BAD-OCDE).

Parallèlement à la Convention de l’OCDE, les textes, traités ou groupes de travail tentant de lutter contre la corruption vont se multiplier. Nous avons déjà parlé, au début de ce texte, de la Convention des Nations unies mais on peut aussi citer : le groupe des Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe, le groupe de travail anticorruption du G20… Cette inflation de mesures met en évidence l’intolérance croissante des opinions publiques vis-à-vis de certaines pratiques et dans un contexte de discrédit croissant des élites politiques, des entreprises internationales et des institutions financières. La condamnation de la corruption apparaît en tête des critiques, qu’ils concernent des entreprises ou des Etats. Il y a quelques jours à peine, les Brésiliens sont descendus dans la rue pour protester contre un projet de loi venant dénaturer la loi de lutte contre la corruption en vigueur. Les députés coréens sont en train quant à eux, de s’interroger sur la possibilité de destituer leur présidente pour avoir extorqué de l’argent aux grands groupes du pays…

Est-ce la recrudescence des affaires dans un contexte de globalisation qui entraîne ce regain d’indignation ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que les moyens d’information et le relais de cette information grâce aux réseaux sociaux rendent plus visibles de telles pratiques et que, dans un monde où les inégalités s’accroissent, elles deviennent de moins en moins tolérables et tolérées. Pourtant, la lutte contre la corruption est encore loin d’avoir abouti et pour l’instant, seule la corruption active est réellement condamnée. Aujourd’hui, les entreprises savent qu’elles ne peuvent s’adonner à ce genre de pratique en toute impunité. De ce point de vue, la lutte engagée est un succès. Elle n’aboutira pourtant jamais si elle ne prend pas aussi en charge la corruption passive. De ce point de vue-là, la question est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. Autant il est facile pour un Etat d’imposer une contrainte forte et de punir les entreprises qui ne la respectent pas, autant il est plus compliqué de s’engager sur la voie de la transparence, de règles claires et universelles dans un monde global où les intérêts, et donc les conflits d’intérêts, sont nombreux et souvent contradictoires. La crise financière de 2008 est un autre sujet mais elle était déjà un rejeton de cette problématique !

Ce n’est donc pas un hasard si la journée de lutte contre la corruption a vu le jour en 2008 !

 

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Aller plus loin avec la Revue internationale et stratégique n°101 sur « Corruption » (printemps 2016).
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