ANALYSES

Football. Les investissements chinois, « un mouvement lancé par le haut »

Presse
30 novembre 2016
Interview de Pascal Boniface - Ouest France
Entretien avec Pascal Boniface, géopolitologue. Ce dernier nous donne des indications sur la démarche des Chinois et de leurs investissements dans le football, en France.

Que cherche la Chine à travers des investissements dans les clubs de football français et, plus largement, européen ?

Il y a à la fois la Chine et les Chinois. Les investissements que nous évoquons ne sont pas ceux de l’État chinois. On a très bien vu ce que le Qatar recherchait avec le Paris Saint-Germain, dans le cadre d’un investissement étatique. Là, ce sont des entreprises privées chinoises. Et, en même temps, ce ne sont pas uniquement des initiatives individuelles, car il y a une sorte de mouvement lancé par le haut, par le président Xi Jinping qui invite à s’intéresser au football au niveau national et international. Et on peut penser que les différents investisseurs, dans leur diversité, le font à titre personnel, mais aussi en se disant que c’est une bonne façon de se faire bien voir du président. Donc, ce n’est pas individuel comme pour Rybolovlev à Monaco, et pas tout à fait étatique comme dans le cas du Qatar à Paris. On est un peu dans un entre-deux. La politique étatique est en arrière-fond, mais elle ne sous-tend pas chaque investisseur.

On peut parler d’incitation gouvernementale ?

Très clairement, car le président Xi Jinping a lancé un grand plan national du football, dans le but de faire de la Chine, une puissance de ce sport. Tout simplement parce que pour la Chine, dont l’ambition est d’être la première puissance mondiale, ne pas exister dans le sport est une sorte d’anomalie. Les Chinois n’ont été qualifiés qu’une seule fois pour la Coupe du monde, en 2002, au Japon et en Corée, et ils ont été éliminés au premier tour. Le président Xi Jinping sait très bien que le rayonnement de son pays doit être multifacettes et pas seulement économique. Ce qui a été fait pour les Jeux de Pékin, en pesant sur le tableau des médailles, en était déjà une démonstration. Mais on ne peut pas être une grande puissance sportive si on n’apparaît pas sur les écrans radars du football.

Comme dans le cas du Qatar, il y a une démarche construite, dans le but d’obtenir l’organisation de la Coupe du monde ?

Tant pour la Chine que pour le Qatar, malgré leurs différences de taille, de poids stratégique, de démographie, il est plus facile d’organiser la Coupe du monde que de la gagner. Parce que gagner une Coupe du monde est un effort sur le très très très long terme, aléatoire, alors qu’on a estimé légitime que la Coupe du monde soit organisée dans un pays musulman où elle ne l’avait jamais été. Par ailleurs, par définition on estime normal que le plus grand pays du monde ne reste pas à l’écart du plus grand rendez-vous. Par conséquent, on peut considérer qu’il est peu probable que la Chine gagne la Coupe du monde 2018, pour laquelle elle n’est pas sûre d’être qualifiée, ni celle de 2022 et 2026, en revanche, il est plus que probable qu’elle l’organise en 2030.

Les investisseurs chinois vous semblent-ils fiables et durables ?

Il y a autant de réponses que d’investisseurs. Car tous, même s’il y a une incitation étatique, répondent à des objectifs privés. Quand le Qatar rachète le PSG, c’est un fonds d’investissement, mais c’est l’État du Qatar en fait. On sait qu’avant 2022, rien ne bougera car c’est une priorité nationale et internationale pour le Qatar. Lorsque des investisseurs privés viennent en France parce qu’ils pensent faire une bonne opération, et se faire bien voir de Xi Jinping, on ne sait pas quels peuvent être leurs revers de fortune, l’avenir de leurs propres entreprises. Il y a donc une part d’aléatoire, comme dans le cas de Monaco avec des fonds d’une autre provenance, mais avec déjà trois changements d’orientation stratégiques. Mais ce que l’on voit, correspondant à la montée en puissance globale de la Chine, c’est qu’il y a des capacités d’investissements très fortes, et qu’en plus, les clubs français sont peu chers par rapport à leur potentiel de développement. Investir dans un club français, c’est à la fois être dans l’air du temps à Pékin, se faire plaisir si on est passionné de football, se distinguer de ses concurrents en ayant quelque chose qu’ils n’ont pas, car un club de football est une sorte de plume au chapeau comme peut l’être une propriété viticole. Il y a un peu un effet nobiliaire, « show off ».

Y-a-t-il un risque de sino-dépendance pour le football français ?

Je ne crois pas. Il y a là un effet levier car cela concerne plusieurs clubs. Mais en même temps, ce ne sont pas des clubs phares. On ne parle pas de l’OM. À Marseille, le ticket d’entrée était tout autre et les attentes du public seront immédiates. Alors qu’à Sochaux, Auxerre ou Nancy, c’est plus accessible, et il y a plus de temps pour agir. Donc, vous pouvez très bien avoir des gens qui vont réussir, un qui va abandonner en cours de route parce qu’il n’aura pas de retour sur investissement ou qu’il n’aura pas la patience d’attendre.

La logique n’est toutefois pas toujours celle d’un rachat…

Non, on l’a vu à Lyon notamment où Jean-Michel Aulas élargit son capital tout en conservant le contrôle.

La FFF et la LFP ouvrent un bureau à Pékin début 2017…

C’est une excellente stratégie que d’anticiper sur le mouvement et de se positionner immédiatement sur le marché le plus prometteur. Parce que le football chinois se développe non seulement au plan masculin, mais également au plan féminin. Et vu l’appétit des Chinois pour le jeu, leur retard en termes de structures, de formation, de contrôle de la compétition après des années de pourrissement par la corruption, combattue par le président dans ce domaine comme dans d’autres, il y a là, une terre d’avenir.

Les capitaux chinois sont-ils aujourd’hui au-dessus de tout soupçon ?

À peu près oui. Je pense que le GAFI (Groupe d’Action FInancière qui lutte notamment contre le blanchiment) et la DNCG (Direction Nationale du Contrôle de Gestion) regardent ce qu’il se passe en termes d’investissements. Les Chinois et Xi Jinping n’ont de toute façon pas envie d’avoir un scandale sur le dos sur quelque chose d’aussi visible que le football, car l’effet boomerang serait terrible.
Sur la même thématique