ANALYSES

Quel avenir pour Cuba, après la mort de Fidel Castro ?

Interview
28 novembre 2016
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Que retiendra-t-on de Fidel Castro ?

Une bataille du bilan de Fidel Castro a commencé dès l’annonce de son décès. Les autorités cubaines ainsi que la majorité des Cubains vivant dans l’ile mettent en avant le bilan social, notamment au niveau de l’éducation et de la santé. Les quelques centaines de milliers d’expatriés, en revanche, mettent en avant l’absence de libertés. Résidant pour l’essentiel à Miami, ils ont fêté la mort de Fidel Castro.
En dehors des Cubains, résidents ou expatriés, les réactions ont été formelles. Tant, notamment du côté des gouvernements européens que de Barack Obama. En Amérique latine et en Afrique, le jugement sur Fidel Castro diffère. Dans les pays de ces continents, Fidel Castro est le petit David qui a tenu tête à Goliath, les Etats-Unis, et à ses différents présidents qui, de J-F Kennedy à G. Bush, ont tenté de le déstabiliser.

Son successeur, Raúl Castro, s’inscrit-il dans la continuité de Fidel ou a-t-il amorcé un début de changement de régime ?

Globalement, Raúl Castro a suivi la même orientation partisane que Fidel, c’est-à-dire, le maintien d’un système de parti unique, le Parti communiste, avec un contrôle étroit de la sphère politique. Cependant, Raúl Castro a cherché, à sa façon, les voies d’un développement de l’économie et de la croissance, passant par la reconnaissance d’un secteur fonctionnant selon les lois du marché comme l’ont fait la Chine ou le Viêtnam.
D’autre part, un processus de réconciliation avec les Etats-Unis, couronné d’un certain succès a été engagé. En 2014, aussi bien Raúl Castro que Barack Obama ont estimé que le blocus imposé par les Etats-Unis et l’absence de relations diplomatiques entre les deux pays n’avaient plus de sens. Plus de vingt-six ans après la fin de la guerre froide, ils ont considéré qu’il était temps de tourner la page. Les Etats-Unis ont pris acte de l’échec de leur politique de pression destinée à provoquer un changement de régime à Cuba. Les Cubains ont accepté une ouverture de leur pays sur l’extérieur. Ouverture la plus notable, la possibilité, pour les Cubains d’avoir un passeport leur permettant de voyager en dehors de l’Île, comme d’y revenir si bon leur semble. Mais la victoire de Donald Trump aux présidentielles des Etats-Unis du 8 novembre 2016, inquiète les Cubains. Donald Trump, en effet, a tenu pendant la campagne électorale un discours républicain d’une autre époque, confirmé par un commentaire d’une grande radicalité sur Fidel Castro, laissant ouverte l’hypothèse d’inscrire de nouveau les relations entre les deux pays dans un climat de guerre froide.

L’embargo qui pénalise l’économie cubaine depuis 1962 a connu des inflexions lors du second mandat de Barack Obama. Cela a-t-il eu un impact sur la vie des Cubains ? Peut-on s’attendre à une levée définitive de celui-ci ?

L’embargo n’a pas été levé. Une levée nécessiterait l’aval du Congrès et du Sénat qui sont à majorité républicaine. Malgré la volonté de Barack Obama, les élus ont décidé de maintenir le blocus. La marge de manœuvre politique et institutionnelle étant donc faible et Barak Obama a procédé par décrets présidentiels pour rétablir les relations diplomatiques et adoucir certaines dispositions de l’embargo.
Ces décrets auront cependant ouvert Cuba aux touristes américains, jusque-là interdits de visite. Cela a provoqué la mise en place d’une économie de services. Il existe désormais des vols réguliers entre la Havane et les Etats-Unis et le nombre de Nord-Américains dans le pays a doublé. Au niveau du commerce, certains produits cubains ont désormais accès au marché américain. Le régime a flexibilisé le champ des entreprises privées autorisées dans la restauration et l’hôtellerie et les transports ont connu un essor important. Ce flux d’étrangers en provenance des Etats-Unis a donc apporté un bol d’air et de dollars aux Cubains. En facilitant les relations familiales, entre Cubains expatriés et Cubains vivant dans l’île, Barack Obama a d’autre part acquis une forte popularité. Dans les rues de la Havane, beaucoup portent des chemisettes à son effigie. Le rétablissement partiel de relations bilatérales entre Cuba et les Etats-Unis a donc suscité un vent d’espoir et d’attentes humaines comme économiques. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier prochain, son discours de guerre froide, préoccupent les autorités comme beaucoup de Cubains.
Quelle va être la politique de Donald Trump, après sa prise de fonction, le 20 janvier 2017, concernant Cuba ? A l’annonce de la mort de Fidel Castro, le futur président américain a formulé de sévères critiques contre celui qu’il considère comme un « tyran » ayant bafoué les libertés de son peuple. Il a par ailleurs annoncé son intention, une fois au pouvoir, d’aider les Cubains à accéder aux libertés et au développement économique. Le propos a été salué par les élus républicains de Floride d’origine cubaine. Mais d’autres Cubains de Miami sont intéressés, économiquement parlant, par la consolidation des nouveaux liens économiques établis avec La Havane. Que fera-t-il ? Que décidera-t-il ? Personne ne le sait, à l’instar de l’ensemble de son programme de politique extérieure. Donald Trump a beaucoup parlé en effet pendant sa campagne présidentielle pour capter le plus de voix possibles. C’est aujourd’hui chose faite. Ses propos ont certainement été bien accueillis par les élus républicains de Floride, d’origine cubaine, et les secteurs les plus revanchistes des émigrés de Miami. Ces réalités, idéologiques comme électorales, inquiètent ceux qui, à Cuba comme aux Etats-Unis, étaient et sont attachés à la continuation de la politique engagée par Barack Obama. Du fait que celle-ci a été mise en œuvre par des décrets présidentiels, il est tout à fait possible que son successeur, Donald Trump, émette d’autres décrets pour revenir, en tout ou partie, à la situation antérieure à 2014, date de la décision de dégel prise à Washington et La Havane.
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