ANALYSES

Le devenir possible des Etats-Unis et du monde face aux « trumperies »

Tribune
25 novembre 2016
Tout a été dit sur les caractéristiques de l’Américain pro-Trump. Son portrait-robot est celui d’un homme blanc, peu diplômé (2/3 des votants), habitant en zone rurale ou dans des petites villes des Etats du centre (2/3 des votants), souvent évangélistes (80% des électeurs de Trump) et frappés par la délocalisation des activités. Celle-ci rime avec perte de l’emploi et de l’assurance maladie, difficultés à rembourser les crédits immobiliers. Or la réalité est celui d’un quasi-plein emploi, avec notamment un rebond depuis 2009 face à la désindustrialisation grâce à la politique menée par l’administration Barack Obama et l’amélioration de la couverture sociale. Mais l’arrière-plan est aussi celui d’un accroissement des inégalités entre les riches et les pauvres, d’une concurrence industrielle chinoise, ainsi qu’un fort accroissement de l’immigration (elle dépasse les 13% de la population).

Le relativisme face aux déclarations électorales de la campagne fait florès dans les milieux bienpensants. Ils accusent les médias et les élites de ne pas avoir compris le « peuple » américain. Or celui-ci a tranché et l’élection est démocratique. Les Américains seraient séduits par la réussite d’un milliardaire. Les propos sont également rassurants et il faut différencier les effets d’annonce et la mise en œuvre des politiques : Donald Trump n’aura pas les mains libres ; il sera pragmatique et devra tenir compte des contre-pouvoirs. Il a d’ores et déjà fait marche arrière sur la torture et le climat.

Plusieurs éléments appellent cependant à la prudence.

En premier lieu, le recrutement des proches de l’extrême droite, des ultraconservateurs, de l’alt-right ou du Tea party, tels que Stephen Bannon, Rudy Giuliani, Newt Gingrich, James Mattis ou le général Michael Flynn, témoignent d’une ligne dure sur la sécurité, l’islam et l’immigration, même si des nominations à des postes symboliques – telle celle de Nikki Haley au poste d’ambassadeur aux Nations-Unies – veulent favoriser une image plus consensuelle. Les liens de Donald Trump sont forts avec les financiers de Wall Street, les lobbys pétroliers et militaro-industriels ainsi qu’avec certains néoconservateurs. Ses premières annonces ont ainsi porté sur son intention de dénoncer l’accord commercial transpacifique, de développer les gaz de schiste et les énergies fossiles. Et la bourse se porte bien depuis l’élection de Trump.

La personnalité de Trump conduit, par ailleurs, à s’interroger sur sa capacité à présider la première puissance du monde. La présidentielle américaine a été gagnée par un communicant hors pair. Donald Trump possède – comme d’autres politiques mais à un niveau très élevé – la plupart des caractéristiques et la personnalité de type psychopathe ou sociopathe : comportement anti-social, manque de remords et d’empathie, narcissisme, manipulation, difficulté à planifier et à prendre en compte les conséquences de ses actions, utilisation du langage et des mensonges comme d’une arme, non-respect des normes et indifférences aux codes culturels, charme magnétique auprès des foules, indifférence aux droits des minorités et des autres, etc. L’homme politique psychopathe émerge dans des terres fertiles et disposées à être manipulées par un tribun qui change les règles du jeu, troque la vérité et la sincérité par le mensonge et la manipulation. Son discours populiste joue sur la peur, la haine de l’autre, le bouc émissaire. Le « peuple » trouve ainsi un écho à ses vulnérabilités, ses humiliations et ses frustrations. Le discours permet d’exprimer le refoulé.

Egalement, la politique économique annoncée témoigne d’une absence de cohérence et de vision de long terme. La baisse des impôts combinée aux investissements publics dans les infrastructures et dans les dépenses militaires feront croître le déficit public de 25 points d’ici 2023. Cette politique conduira à une explosion des bons du Trésor, à l’inflation et à la hausse du taux d’intérêt qui auront des effets de propagation à l’échelle mondiale. Elle favorisera les catégories américaines les plus riches. Le protectionnisme annoncé, lié au contrôle de l’immigration, pèsera sur les prix et le pouvoir d’achat des catégories pauvres. La politique de Trump risque ainsi d’accroître les inégalités au sein des Etats-Unis malgré une politique de grands travaux à la Keynes ou à la Roosevelt lors du New Deal (ou à la Hjalmar Schacht, ministre de l’Economie du Troisième Reich sous Hitler). La baisse des impôts fait partie des stratégies pour attirer les investissements des firmes multinationales à la recherche de l’optimisation fiscale mais elle suppose que les autres facteurs d’attractivité soient remplis, ce qui est peu compatible avec une vision protectionniste et anti-immigration.

Le nationalisme, l’isolationnisme, l’unilatéralisme et le protectionnisme sont en phase avec son programme « America first », mais ils sont en total déphasage avec la globalisation même s’ils se retrouvent en Grande-Bretagne et dans plusieurs pays européens. On ne peut plus raisonner aujourd’hui en termes d’importations et d’exportations mais d’insertion dans les chaînes de valeur mondiales. Le monde est devenu interdépendant tout en étant asymétrique, caractérisé par des fractures sociales et territoriales.
S’en prendre au multilatéralisme en étant la première puissance du monde ne peut que renforcer les compétitions commerciales et appliquer la loi du plus fort sans règles. Elle entraînera des politiques de rétorsion. La remise en question des accords comme le Traité commercial transpacifique (TPP), et surtout l’ALENA avec le Canada et le Mexique, nuira fortement aux multinationales américaines comme Ford ou Boeing qui ont largement délocalisé au Mexique devenu leur zone de sous-traitance.
Ne pas respecter les engagements du Traité sur le climat ne peut par ailleurs qu’avoir des effets d’imitation de la part des puissances réticentes (Canada, Russie,) et des conséquences parfois dramatiques pour les populations les plus vulnérables, notamment d’Afrique. Il aura, de plus, pour effet de donner le monopole des énergies renouvelables à la Chine.
S’opposer à l’immigration pèsera à la hausse sur les salaires. S’appuyer sur les financiers de Wall Street et favoriser la dérégulation de la finance ne peut qu’accentuer les risques d’une crise systémique comme l’ont connue les Etats-Unis en 2007-2008.
Confondre ses affaires privées du trust Trump géré par ses enfants et ses affaires publiques ne peut que conduire à des conflits d’intérêts dès lors que la multinationale Trump agit en relation avec les pouvoirs politiques du monde, à commencer par la Russie de Poutine.
L’unilatéralisme et le refus d’une sécurité collective risquent de renforcer les postures nationalistes et la puissance de la Russie, et de la Chine et de rendre le monde encore plus dangereux.
Enfin, intervenir ouvertement pour que le futur ambassadeur de Grande Bretagne aux Etats-Unis soit un farouche défenseur du Brexit (Nigel Farage) est contraire aux règles diplomatiques et témoigne d’une position clairement anti-européenne.

Une des plus grandes contradictions prévisibles concerne la politique de défense. La priorité accordée à la sécurité du territoire américain est en opposition avec la montée des dépenses d’armement des puissances émergentes. Elle ne prend pas en compte les liens entre les questions internes et internationales, à commencer par les conséquences des guerres menées par les Etats-Unis (Afghanistan, Irak, Libye). Remettre en cause l’accord passé avec l’Iran ne peut que favoriser une prolifération de l’arme nucléaire au Moyen-Orient. La priorité accordée à la sécurité et à l’augmentation des dépenses militaires est plus en phase avec l’influence des néoconservateurs souhaitant un renforcement de l’intervention au Moyen Orient et en Asie (avec des hommes comme John Bolton ou Stephen Halley) qu’avec l’establishment républicain privilégiant la sécurité interne contre les attaques et prônant le retrait vis-à-vis des engagements extérieurs. Le compromis risque d’être la baisse du soutien aux opérations onusiennes de paix. En revanche, la lutte contre le terrorisme s’en prendra à ses manifestations et non à son terreau et risque d’être une guerre perdue.

Beaucoup d’inconnues demeurent. De nombreux responsables restent à désigner. Nos inquiétudes peuvent s’avérer erronées, mais le rêve américain « America first » risque de se transformer en cauchemar, non seulement pour de nombreux Américains qui ont voté Trump mais surtout pour les populations les plus vulnérables du monde. La politique est un art de compromis, de conviction, de responsabilité et de vision du futur et non de contradiction, de confusion et de réponses aux attentes court-termistes populistes. Une puissance mondiale ne se dirige pas comme une firme multinationale.
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