ANALYSES

L’Allemagne de A. Merkel porte-flambeau de la démocratie face à un Occident ravagé par le populisme ou l’impuissance ?

Presse
20 novembre 2016
Interview de Rémi Bourgeot - Atlantico
Dans sa réaction officielle à l’élection de Donald Trump aux États-Unis, Angela Merkel a nettement insisté sur les valeurs démocratiques et « le respect de la dignité de chacun quels que soient son origine, sa couleur de peau, son genre, son orientation sexuelle et ses opinions politiques ». Doit-on voir dans ce que le Financial Times (lire ici) appelle une « leçon » de démocratie une volonté de la chancelière allemande de prendre le leadership moral des démocraties occidentales suite à l’élection de Donald Trump et à la poussée des populismes en Europe (Brexit, Pologne, etc.) ?

Un certain nombre de thèmes, notamment xénophobes, utilisés par Donald Trump au cours de la campagne sont en contradiction avec la synthèse d’inspiration libérale sur laquelle s’est bâtie l’Allemagne fédérale dans l’après-guerre.
Mais au-delà de cette lecture, l’élection de Donald Trump constitue avant tout un défi de nature politico-économique pour l’Allemagne.
D’un côté, Trump s’en est directement pris à la politique migratoire d’Angela Merkel au cours de la campagne, mais une fois passée l’élection, cela n’est pas central sur le plan bilatéral. Le rapprochement russo-américain est déjà plus problématique pour l’Allemagne en ce qu’il déstabilise l’influence du pays en Europe de l’Est. Mais de façon encore plus importante, la focalisation de Trump sur les questions commerciales tétanise l’establishment allemand et révèle une divergence beaucoup plus profonde. L’élite américaine, par-delà ses divisions idéologiques, rejette la politique économique allemande qu’elle tend à voir non seulement comme un exemple de manipulation monétaire et commerciale mais aussi comme dénuée de pragmatisme, vis-à-vis de la zone euro notamment. Lorsqu’on discute avec des membres de l’establishment républicain, on constate qu’ils condamnent fermement la politique économique d’Angela Merkel même s’ils sont anti-Trump.
La « leçon » de la chancelière relève d’une réaction stratégique tout à fait compréhensible. La meilleure défense, c’est l’attaque.

L’Allemagne – et Angela Merkel plus particulièrement – est-elle la mieux placée pour revendiquer ce rôle de leader moral des démocraties occidentales ?

Si l’on est à la fois proche de la culture allemande et ouvert aux diverses perspectives mondiales, on se rend compte que très peu de pays sont prêts à considérer l’Allemagne comme libérale. Le « couple » franco-allemand sous sa forme actuelle et la zone euro sont donc des constructions aussi fascinantes qu’improbables. Si beaucoup de responsables mondiaux reconnaissent le leadership de Merkel, l’opinion la plus répandue dans ces cercles est que sa gestion de l’économie européenne est désastreuse et contraire à l’esprit du libéralisme, sans même évoquer les éructations de Wolfgang Schäuble contre les démocraties nationales dans le cadre de la zone euro.

Quels sont les obstacles qui pourraient se mettre en travers de la route d’Angela Merkel dans cet objectif ? Quelle pourrait être la réaction des partenaires européens de l’Allemagne, et notamment la France, ainsi que de Donald Trump et des États-Unis eux-mêmes ?

Tout dépendra des initiatives de l’administration Trump. Si les Américains, dans leur tentative de relance de l’économie, haussent le ton face à la politique économique allemande, Angela Merkel entonnera à nouveau son refrain du « No pasaran », prétendument libéral.
Si Trump se focalise plutôt sur la Chine, cela pourrait être plutôt bien vu par le gouvernement allemand étant donnée la confrontation actuelle entre Berlin et Pékin sur la question du dumping et des investissements industriels. L’establishment français semble, pour sa part, prendre le parti d’ignorer l’effort de remise en cause économique anglo-américain, qui va pourtant bien au-delà de Trump et des partisans du Brexit. Il continue à suivre le leadership allemand sur un mode somnambule en attendant que la situation politique européenne devienne hors contrôle.

Politiquement, qu’aurait à gagner Angela Merkel à s’installer dans ce « fauteuil » de leader démocratique du monde occidental ? Ses relatives difficultés sur le plan intérieur pourraient-elles être surmontées ? Quelle est l’opinion de la population allemande sur ce sujet ? Est-elle vraiment attentive à ce genre de discours ?

Angela Merkel est lucide. Elle sait que la réaction mesurée des commentateurs et des marchés à la victoire de Trump met à mal sa stratégie sur le plan international. Néanmoins, elle garde évidemment à l’esprit le jeu politique national. A cet égard, son discours sur les valeurs, même s’il est peu crédible à l’étranger, vise à limiter l’encouragement que la victoire de Trump peut représenter pour l’AfD, bien que ce dernier se révèle de plus en plus comme un parti non seulement populiste mais surtout d’inspiration néo-nazie.
Les relatives difficultés de Merkel proviennent notamment d’un certain rejet populaire de sa politique migratoire. En même temps, elle surfe depuis le scandale de la NSA sur une profonde et ancienne vague d’anti-américanisme au sein de la population allemande. Merkel peut ainsi être tentée d’inscrire, a posteriori, sa politique migratoire dans le cadre d’un clash moral avec l’Amérique de Trump afin de galvaniser son électorat.
Sur la même thématique