ANALYSES

Corée du Sud : période agitée au ‘’pays du matin calme’’

Tribune
10 novembre 2016
Habituée aux coups de tonnerre répétés et aventurismes divers émanant de Pyongyang, la péninsule coréenne et la communauté internationale sont moins rompues aux (rares) soubresauts impulsés depuis Séoul ; en cet automne 2016 atypique, la capitale américaine n’a pas le monopole des (mauvaises) surprises ; contre son gré, sa lointaine cousine sud-coréenne semble bien partie pour lui emboîter le pas.

Déjà aux prises avec un environnement régional tendu entretenu par le régime nord-coréen (deux essais atomiques et vingt tirs de missiles balistiques réalisés depuis janvier) et un contexte économique en retrait des attentes de la population (PIB + 2,6% en 2015 ; projections autour de +2% en 2016), la République de Corée (4e économie d’Asie ; 11e économie mondiale) se voit irrémédiablement happée par une grave crise politique impliquant directement la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne.

Première femme à accéder à ces fonctions dans le pays (en février 2013), Madame Park Geun-hye (parti Saenuri), fille d’un ancien chef de l’Etat (le général Park Chung-hee ; 1963-1979), risque fort de connaître une fin de mandat (jusqu’en février 2018) tourmentée. Les 200 000 personnes attendues dans les rues de Séoul samedi 12 novembre pour appeler à sa démission ne nous démentiront pas.

Emportés ces dernières semaines par une véritable tempête politique associant l’humain (affectif ; relations personnelles) et le financier (allégations de détournement de fonds par une proche), le crédit et l’autorité de la présidente flirtent avec des abimes d’impopularité dont il parait difficile de se remettre, alors que l’opposition et ses principaux ténors ne ménagent pas leur peine pour sceller définitivement le sort de l’administration en place.

Longtemps bâtie, en plus de son affiliation politique paternelle, sur un socle de sérieux et d’intégrité, l’autorité de cette énergique sexagénaire aura le plus grand mal à se remettre de l’imbroglio dans lequel ses relations personnelles (de longue date) avec certains individus aux projets personnels notamment financiers, ainsi qu’aux prérogatives controversées (cf. conseil de la présidente en dehors de tout mandat, y compris en matière de politique intérieure et extérieure) ont miné la Maison Bleue et réduit son crédit à une quantité négligeable.

Ses tentatives de sortie de crise ‘’par le haut’’, avec la nomination-validation par l’opposition d’un Premier ministre aux compétences élargies jusqu’au terme de la mandature actuelle, sont jugées hors de propos et se heurtent à une hostilité marquée, reflet de son crépuscule politique prochain.

Les propos d’une majorité d’observateurs recueillis ces derniers jours à Séoul trahissent une sourde colère de l’opinion et une rupture de confiance avec les élites dirigeantes. Ils font également état d’une réelle lassitude pour les ‘’affaires’’ à répétition affligeant la nation, pourtant exposée, comme bien d’autres en Asie-Pacifique et ailleurs, à des enjeux autrement plus importants (socio-économiques notamment ; croissance ; emploi ; sécurité). Dans la morosité du moment, peu d’interlocuteurs osent espérer quelque éclaircie salvatrice pour le gouvernement, lequel devrait trainer sa peine jusqu’au prochain scrutin présidentiel, prévu d’ici une longue quinzaine de mois. A moins que Mme Park ne décide, sous la pression de la rue et de ses (bons) conseillers, de quitter prématurément son poste (peu de gens misent, pour l’instant, sur une telle hypothèse) ; auquel cas, selon la Constitution, un scrutin pourrait alors être organisé sous soixante jours…

En théorie, la faiblesse passagère affligeant la présidence sud-coréenne aurait pu donner matière à quelque attaque (rhétorique) facile de la part du régime nord-coréen, généralement prompt à se saisir de tout argument, avéré ou grossier, pour malmener, houspiller ou menacer les autorités du sud. A cette heure, on serait plutôt surpris par la relative retenue de Pyongyang ; une ‘’réserve’’ inhabituelle sur laquelle on n’aurait pas nécessairement misé en pareille circonstance.

Naturellement, cette atypique ‘’discrétion’’ nord-coréenne pourrait ne pas durer. Occupé à digérer la surprise de l’élection du candidat républicain à la présidentielle américaine, le régime nord-coréen pourrait très vite retrouver ses (mauvais) esprits et recouvrer sa traditionnelle logorrhée critique et calomnieuse à l’endroit de Séoul, en forçant comme il se doit sur les traits.

Si l’agitation verbale de Pyongyang sur cette thématique sensible est pour l’heure le cadet des soucis de l’administration Park, il en va bien différemment de l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison-Blanche. Au plus haut niveau de l’Etat, au quartier-général des principaux partis de l’opposition, dans les états-majors de l’armée sud-coréenne comme dans les influents centres de recherche et think tanks du pays, la stupeur du succès républicain (ni anticipé, ni appelé de ses vœux) a jeté ce qu’un euphémisme commode nommerait un froid polaire, en cet automne précoce sur le plan politique, partisan et stratégique.

Des premiers échanges sur le sujet auprès de ces diverses autorités, il ressort une préoccupation générale quant aux contours à venir de la relation jusqu’alors privilégiée américano-sud-coréenne, pierre de touche sécuritaire et stratégique de Séoul des dernières décennies. Les diverses sorties de Donald Trump ces derniers mois sur le sujet – fussent-elles à l’occasion contradictoires et à replacer dans un contexte de campagne électorale faisant peu cas de mesure (cf. financement de la présence militaire américaine en Corée du Sud ; retrait possible des troupes US) – ont sensiblement ébranlé les cercles du pouvoir et de réflexion au sud du 38e parallèle, précipitant ces derniers vers la nécessité de concevoir de possibles ajustements politiques, militaires, géopolitiques.

Troublés plus que réellement apeurés, les responsables sud-coréens, déjà accaparés ou affligés par la crise politique domestique en cours, guettent et espèrent de leurs vœux les premiers signaux rassurants en provenance de la future administration américaine, pourvu qu’ils aillent majoritairement dans le sens de l’apaisement et qu’ils confirment Séoul dans son statut d’alliée stratégique majeure des Etats-Unis en Asie-Pacifique. En ces temps intérieurs difficiles, le ‘’pays du matin calme’’ et ses 51 millions d’individus n’ont aucune appétence pour des lendemains stratégiques incertains ; le voisinage avec l’imprédictible et menaçante Corée du Nord suffit amplement à leur peine.
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