ANALYSES

Cuba, Iran… les deux tournants géopolitiques des années Obama ont-ils été un succès ?

Presse
6 novembre 2016
Voilà maintenant deux ans que les relations diplomatiques ont été rétablies entre les Etats-Unis et Cuba, et un an que l’accord sur le nucléaire iranien a été passé entre la République islamique et les pays du P5+1 (Etats-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne). Or il apparaît toujours aussi compliqué de faire des affaires dans l’un et l’autre des pays, de procéder à des transferts financiers, etc. Pour quelles raisons? Quelle évolution de la situation peut-on espérer dans les années à venir ?

Les raisons sont multiples. D’abord, de tels accords ne se caractérisent pas immédiatement par des résultats, et il faut attendre quatre à cinq ans avant d’en mesurer les effets. A titre de comparaison, les Etats-Unis se sont dès 2012 engagés pour une levée des sanctions contre le Myanmar, et ce n’est que récemment que Barack Obama a officialisé que les dernières sanctions avaient été appliquées. Patience donc.
Ensuite, le système politique américain, fédéral, ne saurait être comparé à celui d’un pays comme la France. Il y a ainsi un décalage parfois important entre une décision prise par l’Exécutif, son approbation par le Congrès, et sa mise en application par les Etats fédérés, dans lesquels se trouvent les entreprises pouvant faire des affaires avec les pays en question. Dans le cas des relations avec Cuba, c’est vers la Floride que les regards se tournent surtout. Enfin, comme vous le signalez, les Etats-Unis ne sont pas le seul signataire de l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien: il s’agissait d’un accord multilatéral. Sur ces deux dossiers, on note cependant des améliorations, et surtout des promesses liées à la levée des sanctions et des interdictions de faire des affaires. C’est normalement sous la prochaine administration qu’on pourra faire un bilan.

Face à l’absence de réalisations concrètes en l’état, aussi bien pour l’un et l’autre des accords, peut-on parler d’échec de ce qui a pourtant été présenté comme deux tournants géopolitiques historiques de la présidence Obama ?

Il est trop tôt pour parler d’échec, et on peut à l’inverse arguer que si le bilan de l’administration Obama en matière de politique étrangère est assez mitigé, ces deux dossiers sont des avancées. D’abord si on tient compte de l’ancienneté de ces problèmes. La rupture avec l’Iran remonte à 1979, soit il y a quatre décennies. Les deux pays ont depuis été engagés dans des postures réciproques d’une grande hostilité, et les Etats-Unis ont multiplié les sanctions contre Téhéran. Le cas de Cuba est encore pire, puisque la révolution castriste date de 1959, soit avant la naissance de Barack Obama! Ce dernier est donc parvenu à modifier la position américaine sur des dossiers qui semblaient figés, et qu’aucun de ses prédécesseurs ne s’était risqué à toucher. Rappelons au passage qu’Obama avait annoncé lors de la campagne présidentielle de 2008 qu’il reverrait la relation avec des pays comme l’Iran ou Cuba. Il a donc tenu parole.
Ensuite, ces deux dossiers répondent à une approche géopolitique qui est une rupture avec les administrations Clinton et Bush fils, c’est-à-dire depuis la fin de la Guerre froide, en marquant la fin d’un manichéisme caractérisé par l’identification d’Etats voyous ou d’un axe du mal. C’est là que se trouve le tournant géopolitique. En revanche, on peut reprocher à l’administration Obama d’avoir cédé à Cuba et à l’Iran, dont les concessions sont soit nulles, soit moindres. Le débat reste ouvert. Mais les faits sont là : dans la manière avec laquelle les Etats-Unis engagent leur relation avec leurs adversaires, il s’agit bel et bien d’un tournant géopolitique.

Dans quelle mesure le résultat de l’élection américaine pourra-t-il impacter le processus de normalisation des relations aussi bien avec l’Iran qu’avec Cuba?

Là est tout le problème, tant les deux candidats semblent aux antipodes de Barack Obama en matière de politique étrangère. Trump a promis un recentrage sur les questions jugées prioritaires, qu’on peut assimiler à une forme d’isolationnisme (même si ce n’est pas exactement le cas).
C’est cependant dans le cas d’une victoire d’Hillary Clinton, pourtant ancienne secrétaire d’Etat d’Obama (mais avant que les dossiers iranien et cubain n’avancent) que les différences avec l’administration actuelle sont paradoxalement les plus nombreuses. Bill Clinton avait considérablement renforcé en 1995 le régime de sanctions contre l’Iran, et elle-même, alors sénatrice de l’Etat de New York, avait voté en juillet 2001 la reconduction pour cinq ans de la loi de sanctions contre l’Iran et la Libye (Ilsa), aux côtés de quatre-vingt quize autres sénateurs. Sa vision de la politique étrangère – qui est au passage soutenue par les néoconservateurs – prône un engagement plus fort de la puissance américaine, en mettant en avant des valeurs. En ce sens, elle s’apparente plus à l’école libérale, comme son mari, qu’aux réalistes comme Obama, et une remise en cause des avancées dans la relation avec l’Iran et Cuba n’est ainsi pas à exclure, selon l’attitude qu’adopteront ces deux pays.
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