ANALYSES

Brexit : Quel divorce pour le Royaume-Uni ?

Interview
13 octobre 2016
Le point de vue de Olivier de France
Selon Theresa May, la procédure de divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sera lancée avant fin mars 2017. Vers quel Brexit nous dirigeons-nous ?

Lors de la conférence des conservateurs britanniques, Theresa May a annoncé l’activation de l’article 50 du Traité de Lisbonne, désormais prévue avant fin mars. On peut espérer de cette annonce qu’elle déplace la discussion de la forme et du calendrier vers le débat de fond et d’idées. Pour l’instant, le gouvernement britannique ne semble pas prêt à entrer dans le vif du sujet, à esquisser les conditions du divorce ou les modalités précises de la relation entre Londres et le continent. Il fait face en effet à une contradiction majeure : l’accès au marché unique ou le contrôle de l’immigration. Le gouvernement britannique se retrouve dans la position pour le moins paradoxale de faire l’apologie du libre-échange d’une part, et de la sortie du marché unique de l’autre.

L’équation sera difficile. Encore faut-il que les conservateurs la reconnaissent et s’attèlent à sa résolution. Si l’on se tient aux propos de Theresa May la semaine passée, ils ont pour l’heure choisi le déni. A leur tête, une Première ministre qui estime pouvoir négocier un Brexit sans être confrontée à cette alternative, comme elle l’a formulé lors de la conférence des conservateurs.

Mais l’Union européenne ne l’entend pas de cette façon et ses poids lourds politiques l’ont fait savoir. Angela Merkel estime que les deux libertés sont indissociables. François Hollande, pour sa part, affirme que le Royaume-Uni, « ne bénéficiera pas d’un accès au marché unique si les principes de libre circulation ne sont pas respectés ». Jean-Claude Junker, précise que la Commission n’entamera aucune négociation tant que l’activation de l’article 50 ne lui aura pas été notifiée. Quant à Donald Tusk, il fait preuve de fermeté en déclarant que les 27 Etats membres seront en mesure de faire valoir leurs intérêts. Ces réactions sont logiques : ces principes sont inscrits dans les traités, et les Etats membres ne peuvent négocier un accord à la carte sans remettre en cause les principes qui sous-tendent le fonctionnement de l’Union.

Dans les deux camps, on peut s’attendre à une inflation dans la fermeté des déclarations au cours des prochains mois, chaque partie mettant en avant ses lignes rouges. Mais je pense que sur ce point précis au moins le Royaume-Uni sous-estime la détermination des dirigeants européens à défendre quatre libertés fondamentales de l’UE. Les dirigeants britanniques devront, un jour ou l’autre, admettre qu’ils ne pourront tenir les promesses faites durant la campagne en faveur du Brexit.

Ce divorce avec l’Union européenne pourrait-il créer des ruptures au sein du Royaume-Uni, entre notamment les supporters et les opposants au Brexit au sein du gouvernement, du parlement et au sein même du Parti conservateur ?

Je poserais la question inverse : les Britanniques seront-ils en mesure du surmonter les divisons qui minent le pays pour aboutir à une position consolidée, condition sine qua non à la négociation de la procédure de divorce ? Avant d’aborder les questions de fond avec l’Union européenne, il faut tout d’abord que Theresa May se mette d’accord avec elle-même : il ne faut pas oublier qu’elle avait fait campagne (du bout des lèvres certes) contre un Brexit qu’elle doit aujourd’hui mener. Pour ce faire, elle tente aujourd’hui de transformer en consensus national un référendum qui a fracturé le pays, et où 48% des Britanniques se sont prononcés contre le Brexit.

De même, les conservateurs ont cherché à présenter un front uni la semaine passée, alors que les divisions latentes ressurgiront au cours des prochains mois entre les eurosceptiques traditionnels et les défenseurs des intérêts économiques et financiers de la City, favorables au maintien dans le marché unique. Le cabinet britannique doit également se mettre d’accord avec lui-même, puisqu’il est écartelé entre les trois mousquetaires du Brexit (Boris Johson, David Davies, Liam Fox), et le Chancelier de l’Echiquier, qui cherchera à préserver les intérêts de la City. Reste encore Westminster, où le Parlement est divisé sur la question, et les autres instances législatives du pays, comme le Parlement d’Ecosse, vent debout contre une décision qu’ils estiment imposée par Londres. Enfin, la société civile britannique reste meurtrie et profondément divisée sur la question. Ainsi, malgré la volonté des conservateurs de faire du Brexit un consensus national, de profondes divisions et incompréhensions demeurent dans un Royaume-Uni coupé en deux.

Ce divorce pourrait-il en engendrer un autre avec l’Ecosse et l’Irlande du Nord ?

Aujourd’hui, il est impossible de se prononcer sur la question sans savoir de quoi le futur sera fait. Les réactions de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord dépendront de la situation du Royaume-Uni au printemps 2017, puis des conditions de sortie qui seront négociées d’ici 2019. A mon sens, tout ne sera pas réglé d’ici là. L’Ecosse et l’Irlande du Nord ne peuvent se positionner tant que l’on ne connait rien des modalités des relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni.

Comment l’Union européenne gère-t-elle la question ?

L’UE n’a pas non plus établi de modalités précises quant au Brexit. A bon droit, dans la mesure où elle ne peut entamer de négociations tant que l’article 50 n’a pas été activé, car des discussions informelles entre des représentants britanniques et de différents pays européens ne seraient pas en mesure de prendre en compte l’intérêt des citoyens européens.

Alors que la perspective d’un lancement de la procédure de divorce approche, une équipe de négociation se met progressivement en place autour de Michel Barnier. Le négociateur en chef de la Commission européenne se rendra dans les capitales des Etats membres dans l’optique de sonder les 27.

En attendant, les deux parties adopteront sans doute des postures fermes sur la scène publique. Cela fait partie de la tactique politique qui permet à la diplomatie d’un Etat d’obtenir une plus grande marge de manœuvre dans les négociations.
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