ANALYSES

Rejet du référendum en Colombie : la paix pourra-t-elle tout de même avoir lieu ?

Interview
5 octobre 2016
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Alors que pour de nombreux observateurs, l’accord de paix en Colombie était acté, les Colombiens l’ont rejeté à l’occasion du référendum. Est-ce une surprise ? Quels sont les motifs de ce rejet ?

Il ne s’agit pas seulement d’observateurs. Le sentiment était général. Il s’appuyait sur les évaluations convergentes de tous les organismes de sondage colombiens qui, tous à des degrés divers, donnaient la victoire au « oui ». Le résultat a donc effectivement été reçu avec surprise tant par les partisans du « oui » que par ceux du « non ».
Les raisons de ce vote, données bien sûr a posteriori, sont multiples. La Colombie est un pays urbain. Les urbains ont depuis longtemps été très loin des zones de conflit, toutes situées dans les périphéries du pays. La carte du vote est éclairante. Dans les départements affectés par le conflit et en ayant souffert, le « oui » a été largement majoritaire. Au cœur du pays, la Colombie urbaine d’aujourd’hui, c’est le « non » qui l’a emporté. Dans ces régions, les électeurs ont voté comme tous les électeurs du monde consultés par référendum (plébiscite en Colombie). Ils ont voté pour ou contre le gouvernement, ne tenant pas compte de la question posée. La mobilisation électorale a été très faible. L’abstention a été de 63%. Certains ont pu se prononcer pour des motivations corporatistes, comme les chauffeurs de taxis très remontés contre le gouvernement coupable selon eux d’avoir laissé le concurrent, Uber, s’implanter. Les églises locales, catholiques et protestantes, évangélistes, reprochent au gouvernement son laxisme moral et ses ouvertures en direction des couples lesbiens et homosexuels.
Le président a beaucoup parié sur le soutien des partis politiques, tous assez peu représentatifs et qui ne se sont pas vraiment impliqués dans la campagne. Il a privilégié les médias, les réseaux sociaux à une campagne s’appuyant sur la société civile. Si l’on ajoute la faible durée de la campagne, les pluies tropicales ayant affecté des régions favorables à l’adoption de l’accord,le « oui » partait avec un handicap qu’il n’a pu compenser.
L’ex-président Uribe, enfin, était très remonté contre l’actuel président, Juan Manuel Santos, qui a été son ministre de la Défense. Pour des motivations idéologiques et de concurrence partisane, il a mené bataille contre un accord entaché, selon lui et ses amis, de chavo-communisme. Ce discours a séduit les catégories sociales les plus aisées et a convaincu divers autres groupes d’électeurs dans la partie centrale du pays, non affectée par le conflit.

Le « non » entérine-t-il toute velléité de paix pour autant ? Quelles procédures vont suivre le référendum ? Les combats risquent-ils de reprendre ?

Les conséquences du vote sont paradoxales. Il s’agit en réalité d’un match nul. 49,2% d’un côté, 50,8% de l’autre. Les acteurs du plébiscite sont sortis sonnés par ce résultat, inattendu et serré. Tous, aujourd’hui, affirment, haut et fort, être partisans de la paix. Ils se disent prêts à se rencontrer pour trouver un compromis qui permettrait de sauver l’essentiel : éviter la reprise des combats. Conscients de l’enjeu, les FARC ont très vite signalé qu’elles maintenaient le cessez-le-feu. Le Président Santos leur a emboité le pas en ce qui concerne les forces de sécurité. Dans les zones de conflit la population a exprimé ses craintes. A Bogota, les étudiants ont manifesté devant le Parlement en faveur de la paix. En dépit des interrogations posées par ces réactions et des incertitudes sur la voie à suivre, un élément permet de penser qu’une option préservant la paix pourra être trouvée. L’ex-président Uribe poursuivait en effet un objectif qui primait celui de l’approbation ou du rejet des accords, se remettre en jeu dans la vie politique. Ce qui est aujourd’hui le cas. Le président, prisonnier d’un projet qui l’a mobilisé pendant six ans et qu’il veut préserver, est contraint de négocier un pacte avec son grand rival, Alvaro Uribe.

Quel sera l’impact du référendum au niveau régional et international ?

La communauté internationale a soutenu les accords. Elle avait pris des engagements politiques et financiers, conformés par une forte présence le 26 septembre aux cérémonies de signature des accords. Elle va donc soutenir les efforts en cours pour sauver ce qui peut l’être.
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