ANALYSES

Colombie, accords de paix : quels impacts pour la population et l’économie colombiennes ?

Interview
27 septembre 2016
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
L’accord de paix avec les FARC, qui met fin à un conflit cinquantenaire et qui doit encore être validé par référendum, changera-t-il, selon vous, le quotidien des Colombiens ?

Le conflit changera le quotidien d’une certaine catégorie de Colombiens. Les FARCS sont essentiellement ancrés dans des zones rurales. La paix est susceptible d’apporter des améliorations dans la vie de ceux qui vivent dans ces régions, mais pour les habitants de grandes villes comme Bogota, Medellín, Cali, cette nouvelle parait presque aussi lointaine que pour un Européen.

Pourquoi certains politiques colombiens s’opposent-ils à l’accord ?

Les principaux opposants à l’accord sont deux anciens Présidents de Colombie : Alvaro Uribe (2002-2010), Andres Pastrana (1998-2002). Les raisons de l’opposition de ce dernier sont difficiles à comprendre. Il avait lui-même tenté de négocier un accord de paix à l’issue duquel il avait concédé aux FARC un territoire grand comme la Suisse. Mais, mal préparées, les négociations n’avaient abouti à rien de concret. Une affaire d’orgueil se cache-t-elle derrière ce refus, alors que ses successeurs réussissent là où il a échoué ?

Quant à Alvaro Uribe, il fait partie de ces notables de l’intérieur de la Colombie qui ont été victimes de tentatives d’enlèvement de la part des FARC, de chantages financiers, et qui ont activement participé à des combats plus ou moins légaux dans la guerre contre la guérilla. Alvaro Uribe représente une Colombie, rurale, héritière d’un monde, qui n’est plus celui d’aujourd’hui.

Quel sera l’impact des accords de paix en Colombie sur le trafic de drogue à l’échelle nationale et internationale ? 

La drogue fait partie des six points négociés dans le cadre de l’accord entre les FARC et le gouvernement colombien. En signant les accords de paix, les guérilleros s’engagent à abandonner leurs activités de trafic de drogue. Pendant plusieurs années, les FARC ont été accusés d’être un groupe de narcoterroristes, les auteurs de cette appréciation, laissant ainsi entendre que la résolution du trafic des stupéfiants était liée à une victoire militaire ou à un accord sur le trafic de drogue avec les seules FARC.

La situation est, en réalité, plus complexe. Le trafic de stupéfiants brasse beaucoup d’argent et touche la totalité de la société colombienne. En marge des accords de paix, plusieurs groupes armés restent actifs sur le territoire. L’ELN (l’Armée de libération nationale), seule guérilla encore en activité, et les anciens paramilitaires. Uribe avait négocié une cessation des hostilités avec ces derniers. Elle n’a pas donné les résultats escomptés. Une grande partie des paramilitaires s’est reconvertie dans le trafic de stupéfiants en créant ou renforçant des bandes criminelles, BACRIMS dans le jargon politique colombien. Si l’Etat colombien n’occupe pas le terrain, l’ELN ou les bandes criminelles risquent de se réapproprier les zones de trafics abandonnés par les FARC.

Quels sont les enjeux socio-économiques de la Colombie, aujourd’hui ? La paix peut-elle relancer la croissance et rendre le pays plus compétitif sur le plan commercial ?

La Colombie est déjà un pays compétitif. Elle fait partie des rares pays d’Amérique latine, avec notamment la Bolivie et le Pérou, qui affichent, encore aujourd’hui, une croissance positive. Anticipant les accords avec les FARC, les autorités ont d’ores et déjà lancé une offensive destinée à attirer les investisseurs étrangers. La paix devrait notamment permettre au gouvernement de diminuer ses dépenses de sécurité (armée et police), au profit de dépenses et d’investissements destinés au développement et à l’amélioration des infrastructures du pays. Certains experts estiment que la fin de la guerre pourrait faire gagner un à deux points de croissance à la Colombie.

Les accords de paix laissent envisager des horizons meilleurs pour la Colombie, d’autant plus que les accords ont été  bien accueillis par la communauté internationale. Le Secrétaire général de l’ONU, les Secrétaires d’Etat des Etats-Unis, du Vatican ainsi que quinze présidents d’Amérique latine ont fait acte de présence à Carthagène, lieu de signature des accords en Colombie, tout comme les responsables de grandes institutions financières internationales, dont la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, le FMI. Pourquoi ? Le monde, tel qu’il est aujourd’hui, laisse peu d’occasions de se réjouir. Parmi les nombreux conflits d’aujourd’hui, en Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi en Europe de l’Est, la Colombie est un des rares exemples de résolution qui aboutit par la voie de négociations de paix.

Néanmoins, la présence européenne, modeste, est surprenante compte tenu de la portée d’un accord dont l’exemplarité dépasse la Colombie. L’Espagne, en crise, a délégué son ancien roi, Juan Carlos, et les autres pays membres de l’Union, leurs ministres des Affaires étrangères, ou vice-ministres et ministres délégués.
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