ANALYSES

La tension monte entre Chinois et Japonais

Presse
19 septembre 2016
Une enquête réalisée par le Pew Research Center montre qu’en dix ans, l’animosité entre la Chine et le Japon s’est accrue : perception négative de la Chine en hausse de 15 points du côté des Japonais et perception négative du Japon en hausse de 11 points du côté des Chinois. Différends anciens, résurgence des tensions en mer de Chine… Quels sont les facteurs pouvant expliquer la hausse de l’hostilité entre ces deux pays ?

D’abord, il convient de rappeler que si la rivalité entre la Chine et le Japon, aujourd’hui très sensible, est perceptible depuis plusieurs décennies, il n’en fut pas toujours ainsi dans l’histoire très longue de ces deux civilisations voisines. Il n’y a ainsi, contrairement à une idée trop souvent répandue, pas de déterminisme dans les perceptions négatives réciproques de ces deux pays. Cela nous invite d’une part à considérer que les choses peuvent changer, mais aussi qu’il s’agit d’un phénomène lié à des facteurs très actuels, et instrumentalisés par certains milieux et responsables politiques.
Il n’en demeure pas moins que les facteurs expliquant cette hostilité réciproque sont nombreux.
On y compte d’abord l’héritage de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation brutale de la Chine par l’armée impériale japonaise. Cette question apparaît d’ailleurs très nettement dans l’enquête du Pew. Les Chinois reprochent aux Japonais de ne pas s’être suffisamment excusés pour les crimes de guerre, et les milieux nationalistes japonais cherchent de leur côté (c’est une constante depuis 1945) à minimiser ces crimes de guerre. Dans les faits, cela se traduit par un malaise autour de la désignation du massacre de Nankin de 1937, les manuels scolaires, et plus encore le sanctuaire de Yasukuni, dans lequel est honorée la mémoire des victimes japonaises des guerres du XXème siècle, incluant depuis 1978 les criminels de classe A jugés et condamnés au procès de Tokyo en 1946. Contrairement à l’Europe, l’Asie orientale n’a pas encore tourné la page de cette période tragique, et chaque déclaration ou posture d’un côté ou de l’autre est systématiquement épiée et sujette à interprétations.
Les différends maritimes, autour des îles Senkaku-Diaoyu, sont un autre point de litige, qui remonte au début des années 1970, et est particulièrement sensible depuis 2010, au point que certains observateurs y voient l’une des principales zones de tensions en Asie.
En toile de fond, c’est cependant surtout la montée en puissance de la Chine qui pose problème, car elle modifie les équilibres régionaux. La Chine a supplanté le Japon en 2010 pour devenir la deuxième puissance économique mondiale (et donc la première asiatique), et ce déclassement est mal vécu par les Japonais. L’ascension militaire et diplomatique de la Chine, désormais puissante et moins complexée, vient de son côté nourrir la crainte d’un retour à un système de vassalité. En clair, c’est donc surtout parce que les Chinois sont plus puissants et plus sûrs d’eux et les Japonais inquiets que les tensions, souvent instrumentalisées des deux côtés, reviennent en surface.

Dans le Japon de Shinzo Abe et la Chine de Xi Jinping, les courants nationalistes sont montés en puissance. Quelle est l’influence réelle des nationalistes dans ces deux pays ? Quelle est la probabilité qu’éclate, sous leur influence, un conflit militaire ouvert entre la Chine et le Japon ?
Les nationalismes chinois et japonais, qui sont effectivement montés en puissance au cours de la dernière décennie, ne s’appuient pas sur les mêmes référents, et sont même radicalement opposés. Mais ils ont en commun de puiser dans l’histoire contemporaine et les conflits entre les deux pays pour s’alimenter.
Dans le cas chinois, le nationalisme se rattache à un sentiment de fierté nationale retrouvé, après un siècle et demi d’humiliations perpétrées par les puissances occidentales, mais aussi le Japon. La croissance économique et le fait que la Chine soit à nouveau dans le cercle des grandes puissances a ainsi nourri un sentiment de fierté que les responsables politiques ont su habilement mettre à profit, mais qui n’est pas tant une construction politique qu’un phénomène à très grande échelle, guidé par la volonté de tourner la page d’une histoire douloureuse.
Côté japonais, c’est la Seconde guerre mondiale qui, depuis la défaite (la première de son histoire) de 1945, alimente le pacifisme japonais, mais aussi à l’autre bout du spectre une tentation nationaliste articulée autour d’un négationnisme des crimes de guerre de l’armée impériale, et plus encore le fait que cette guerre a été perdue par l’utilisation brutale par les Etats-Unis d’un engin techniquement révolutionnaire, la bombe atomique. S’ajoute à cela, et en s’appuyant sur les mêmes référents, un sentiment empreint d’un profond pessimisme sur l’avenir de ce pays (démographie en baisse, stagnation de l’économie, catastrophes naturelles, non-renouvellement des élites politiques…).
Ce sentiment, relayé par les productions culturelles, est répandu dans la société, et des épisodes tragiques comme le tsunami du Sendai et la catastrophe nucléaire de Fukushima ne font que les amplifier. Comme en Chine, les milieux nationalistes exploitent ces sentiments à des fins politiques.
Faut-il voir dans ces divisions profondes un risque de guerre entre les deux pays ? Pas nécessairement. D’abord parce qu’une confrontation armée serait désastreuse pour les deux pays, et ils en ont conscience. Ensuite parce que Tokyo et Pékin sont engagés dans un vaste effort d’affichage d’une image respectable et respectée sur la scène internationale. S’ils peuvent séduire, les milieux nationalistes voient ainsi leur marge de manœuvre limitée par la realpolitik, ce qui nous amène à considérer qu’en-dehors d’une situation accidentelle, les risques de confrontation sont limités. Mais cela ne veut pas dire que les tensions retomberont automatiquement, et tant qu’elles peuvent servir les milieux nationalistes, elles seront affichées comme un chiffon rouge.

Quel est le ressenti des jeunes générations à ce sujet ? Peut-on considérer que ce n’est « qu’une question de temps » et que le renouvellement générationnel entraînera une diminution des tensions ? Quelles sont les conditions d’une véritable normalisation des relations entre ces deux pays ?

C’est une question difficile, car nous voyons bien que les symboles jouent un rôle de premier plan, et que des événements parfois imprévus viennent modifier les paradigmes. Cela dit, il ne faut pas croire au fatalisme d’une rivalité éternelle entre les deux pays, et voir au-delà des problèmes actuels les possibilités de dialogue. Elles sont nombreuses, et nous ramènent à la fois à des désamorçages conjoncturels de crises et à des postures guidées par le pragmatisme. On note ainsi que même dans un contexte tendu, les deux pays ne cessent de rappeler que leur objectif est d’éviter un conflit, au point que les discours agressifs apparaissent comme de la rhétorique plus qu’autre chose. De même, les deux pays restent des partenaires économiques et commerciaux de premier plan, en plus d’être engagés sur des projets communs, comme la reforestation en Chine.
Enfin, il est important de rappeler que depuis la modernisation de l’ère Meiji dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le Japon a souvent cherché à se rapprocher de la puissance dominante ou ascendante. Aussi, de nombreux universitaires japonais reconnaissent aujourd’hui, à mot couvert, que le rapprochement avec la Chine est inévitable, tout autant que le serait la composition progressive d’un espace plus intégré en Asie du Nord-est. Il n’y a donc pas de déterminisme dans la rivalité Chine-Japon, et les réalités d’aujourd’hui ne le seront peut-être plus demain. A ce titre, au-delà des tensions politiques et stratégiques, la multiplication des échanges étudiants, des voyages et des échanges culturels peuvent avoir un impact immense, et positif, sur les perceptions croisées de ces deux pays. C’est en tout cas souhaitable, et pour s’inscrire dans la durée, la normalisation de la relation Chine-Japon doit se faire à ce prix.

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