ANALYSES

Le TAFTA, un traité qui va à l’encontre des textes des Nations unies

Tribune
29 août 2016
Par
Le traité sur la mise en place d’une zone de libre-échange transatlantique (désigné par son sigle anglais TAFTA ou TTIP) est en cours de négociation dans la plus grande discrétion entre les dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne (UE). Il pourrait aboutir à la création de la plus vaste zone de libre-échange du monde (29 États, 820 millions d’habitants). Le TAFTA prévoit l’élimination des droits de douane, la suppression des « obstacles non-tarifaires » au commerce (comme le contrôle sur la qualité des importations) ainsi que l’harmonisation des normes et des réglementations. Dans l’optique d’une harmonisation, il pourrait menacer les normes européennes en matière sociale ou environnementale, plus avancées que celles des États-Unis. Ainsi, cela pourrait remettre en cause la liberté syndicale, ou ouvrir l’Europe au bœuf aux hormones américain.

En outre, le TAFTA prévoit de donner la possibilité aux multinationales, si elles s’estiment « discriminées » par une réglementation, de réclamer des indemnités aux États, devant des tribunaux d’arbitrage privés opérant en dehors de la juridiction nationale, les ISDS (« Investor State Dispute Settlement »).

Ces tribunaux sur-mesure existent en fait depuis 1957, date de la création de la Communauté économique européenne (ancêtre de l’UE). Cela visait, à l’origine, à protéger les entreprises contre les expropriations. Les multinationales l’ont ensuite étendu aux « expropriations des droits intellectuels », un concept flou qui permet d’englober tous les types de lois et régulations.

Dans ces tribunaux privés, le juge n’est pas un magistrat officiel. L’entreprise plaignante choisit un premier arbitre, l’État poursuivi en désigne un second, et les deux parties, un troisième. Ces arbitres sont choisis dans un cercle étroit, fermé, et favorable aux milieux d’affaires. « On confie à trois individus privés le pouvoir d’examiner, sans aucune restriction ni procédure d’appel, toutes les actions du gouvernement, toutes les décisions de ces tribunaux, toutes les lois et régulations émanant de leur parlement. », comme le résume Juan Fernandez‑Antonio, lui‑même arbitre international [1]. Ces ISDS fournissent une protection aux investisseurs au détriment des États et des citoyens. Ils permettent aux investisseurs de poursuivre des États, mais pas l’inverse ! Par exemple, le groupe nucléaire suédois Vattenfall poursuit en justice le gouvernement allemand suite à sa décision d’abandonner l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Autre exemple avec Veolia, qui avait lancé, il y a quelques années, une filiale de traitement des déchets en Egypte celle-ci a peu fait recette. L’entreprise française a attaqué le gouvernement égyptien pour avoir augmenté le salaire minimum à la suite de la révolution arabe de 2011. Ces affaires ont déjà coûté aux gouvernements des centaines de millions d’euros. Cette justice est si inique que certains pays ont décidé de l’abandonner : l’Australie, la Bolivie, l’Equateur et l’Afrique du Sud.

Le TAFTA constitue aussi une menace pour l’exercice du droit syndical et les protections sociales, comme le salaire minimum. En effet, les normes sociales seraient uniformisées à celles des États-Unis. Or ce pays ne reconnaît pas la plupart des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la protection des travailleurs (liberté de réunion, droit aux négociations collectives) car il les considère comme des entraves au commerce et à la libre concurrence.

Au nom du respect de la « concurrence libre et non faussée », les multinationales pourraient, par exemple, obliger des États à privatiser les services de santé. Les multinationales pourraient aussi contester les standards de l’OIT comme discriminants. Elles pourraient également faire valoir la protection des travailleurs et des droits syndicaux comme des obstacles au commerce et au libre-échange.

De plus, le TAFTA va à l’encontre de plusieurs textes importants des Nations unies, comme les conventions de l’OIT et le principe directeur n°9 de l’ONU sur les affaires et les droits de l’homme. Il contraint les Etats à s’assurer que les accords sur le commerce et l’investissement ne contraignent pas leur capacité à assurer leurs obligations concernant les droits de l’homme. Un expert des Nations unies, l’avocat américain d’origine cubaine Alfred de Zayas, s’est publiquement opposé au TAFTA. Dans une interview donnée au quotidien britannique The Guardian, il réclame la suspension des négociations entre les États-Unis et l’Union européenne visant l’adoption du projet. Alfred de Zayas, nommé « rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable », a préparé pour l’ONU un rapport sur les tactiques utilisées par les multinationales dans les négociations du TAFTA pour arriver à leurs fins. Il juge sévèrement les ISDS, qui constituent selon lui « une tentative d’échapper à la juridiction des tribunaux nationaux et de contourner l’obligation de tous les États d’assurer que toutes les affaires juridiques soient traitées devant des tribunaux indépendants, publics, transparents, responsables et susceptibles d’appel ». Il ajoute que le TAFTA enfreindrait la Charte de l’ONU, signée par tous les États membres. En effet, « l’article 103 de la Charte de l’ONU dit que s’il y a un conflit entre les dispositions de la Charte et n’importe quel autre traité, c’est la Charte qui prévaut ». Zayas réclame qu’on inclue au moins des syndicats et des experts médicaux et environnementaux dans les négociations du TAFTA. Sur plus de 600 affaires jugées devant les ISDS, la plupart ont abouti à un jugement en faveur des multinationales. « Pourquoi? Parce que les juges sont des avocats d’affaires extrêmement bien payés. Ils travaillent aujourd’hui pour une multinationale, demain comme avocats, le surlendemain comme lobbyistes, le jour d’après comme arbitres [dans ces ISDS]. Ce sont des situations classiques de conflit d’intérêts et de manque d’indépendance » [2].

Le TAFTA pourrait considérablement aggraver la pauvreté et la précarité dans l’Union européenne. Face à ces dangers, la CNUDCI, Commission des Nations unies pour le droit commercial international, a adopté en 2014 la « Convention sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États, fondée sur des traités ». Elle rassemble des règles de procédure visant à rendre accessibles au public les informations sur les arbitrages entre investisseurs et États découlant de traités d’investissement. De cette manière, tous les textes du TAFTA doivent être rendus publics afin que dans tous les pays de l’UE, les parlementaires et les citoyens aient du temps pour les examiner et les évaluer de manière démocratique. Cette convention constitue un pas vers plus de transparence dans les jugements rendus par les ISDS.

C’est maintenant aux citoyens de peser pour que les textes et valeurs humanistes de l’ONU prévalent sur ces tribunaux arbitraires et pour que le TAFTA ne soit pas adopté.

[1] Sylvain Laporte, « TAFTA: les tribunaux du diable », Fakir, n°69, avril 2015,
[2] « UN calls for suspension of TTIP talks over fears of human rights abuses », The Guardian, 5 mai 2015.
Sur la même thématique
Une diplomatie française déboussolée ?