ANALYSES

L’altermondialisme peine à « changer le monde »

Presse
12 août 2016
Interview de Eddy Fougier - Ouest France
Depuis sa création en 2001, le Forum social mondial est questionné sur son « essoufflement » ?

Oui. Les premières éditions, en 2001 et surtout en 2002, ont eu un écho médiatique important. Le Forum « social » mondial (FSM) était organisé à Porto Alegre, au Brésil, dans un pays chaud de l’hémisphère Sud, et c’était un pied de nez au Forum « économique » mondial qui se tenait, à Davos, dans une riche station de ski de Suisse, un pays froid, du Nord. Une manière de singer l’adversaire. Ce côté « match » avec Davos a plu aux médias.

Depuis, les organisateurs cherchent la bonne formule. Le Forum social, coûteux pour les militants, a longtemps été organisé au Sud (Nairobi, Bamako, Tunis…). Mais il se tient cette année, pour la première fois, dans une ville du Nord, à Montréal. Il est aussi totalement déconnecté du forum de Davos, qui se tient en hiver. Il n’a cessé, de fait, d’être traversé par des interrogations, sur sa régularité (tous les ans ?, tous les deux ans ?) et son utilité.

Justement : libéralisme, inégalités et finance opaque ne cessent de prospérer. À quoi sert le Forum social mondial ?

Il permet d’abord aux militants de se compter, de se dire qu’ils ne sont pas seuls à lutter. C’est aussi un lieu où ils échangent des expériences et se transmettent des savoirs. Et gravent dans le marbre de grands sujets, comme ce concept de « grand projet inutile et imposé », qui a émergé à Tunis en 2013. C’est par exemple le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Ce forum est aussi l’occasion pour les militants de créer des synergies entre plusieurs mouvements : pétitions, campagnes ou mobilisations générales. En février 2003, une manifestation mondiale a lieu contre la guerre en Irak. Elle est considérée comme la plus importante manifestation mondiale enregistrée à ce jour. Elle avait été décidée au Forum social de 2002.

Au-delà des militants, quelle est son utilité dans le monde ?

Quand le FSM est créé, l’idée est de passer de « l’antimondialisme », à « l’altermondialisme », être plus constructif pour aboutir à une grande alternative à la mondialisation et à l’économie libérale. Soyons honnêtes : cette grande alternative, on l’attend toujours… L’absence de hiérarchie, de porte-parole au sein de ce mouvement a contribué au fait qu’aucun consensus n’a jamais su émerger. L’idée de modifier le cours actuel de la mondialisation a été un échec total.

La crise de 2008-2009 aurait pu être une occasion, car le mouvement avait mis en garde contre la prédominance de la finance. Mais, outre la taxe Tobin sur les transactions financières, il n’en est rien sorti. L’alternative vécue au Venezuela a aussi été une catastrophe alors que Chavez était un modèle pour l’altermondialisme. De même, en Grèce, Aléxis Tsípras, et le mouvement Syriza ont généré beaucoup d’espoirs déçus.

Il y a, aujourd’hui, chez beaucoup d’altermondialistes, une forme de renoncement, de pessimisme. Et la possibilité d’une alternative apparaît désormais davantage au niveau local ou microlocal, à travers des écocommunautés, ou les « Zones à défendre » (Zad).

On a vu quand même émerger des mouvements comme Occupy Wall Street ou Nuit Debout ?

Oui, ils sont un peu les héritiers inconscients de l’altermondialisme. À chaque génération, une partie de la jeunesse rejette le monde tel qu’il est, ses valeurs, et se mobilise pour une cause, une alternative. Occupy Wall Street, les Indignés ou Nuit Debout en sont l’illustration. Il y a une forme de filiation idéologique mais l’impossibilité, à chaque fois, de trouver un consensus.

À chaque fois, il y a des délibérations, des échanges, mais cette obsession de l’horizontalité aboutit à une forme de néant. En Espagne, malgré Podemos, la droite est toujours au pouvoir. Et aux États-Unis, Occupy Wall Street n’a pas beaucoup transformé le monde de la finance. Le même cycle se reproduit : on rejette le système, on invente des alternatives mais on ne trouve jamais de consensus et finalement, chacun retourne chez soi en attendant le prochain prétexte pour se mobiliser…

Le terrorisme n’a-t-il pas, aussi, changé la donne?

Les altermondialistes continuent de critiquer la mondialisation à travers les délocalisations, les attaques contre l’environnement au nom de la rentabilité économique etc. Mais la critique de la mondialisation qui est visible actuellement n’est pas celle-là. Elle concerne les réfugiés, le terrorisme, la sécurité. Des thématiques portées par la droite populiste.

On l’a vu, lors de la campagne pour le Brexit, les migrants et le coût qu’ils représentent étaient au cœur des débats. Et Donald Trump aux États-Unis (le candidat des Républicains pour la présidentielle) surfe aussi sur ces sujets.

Les altermondialistes, eux, défendent une solidarité à l’égard des migrants, et prônent la liberté de circulation. Mais ce discours n’est pas vraiment audible, particulièrement dans les catégories populaires.
Sur la même thématique
Le sucre est-il géopolitique ?