ANALYSES

JO : «Un moyen de montrer sa puissance, mais pacifiquement»

Presse
19 août 2016
Interview de Pascal Boniface - Libération
Directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques, Pascal Boniface a publié plusieurs ouvrages sur le sport et la géopolitique, dont JO politiques, aux éditions Eyrolles.

Comme à Londres en 2012, il n’y a jamais eu autant de pays à gagner des médailles à Rio, dont des petits pays qui n’en avaient encore jamais remporté. Est-ce le signe d’une démocratisation des Jeux, symbole de la mondialisation ?

En 1972, une cinquantaine de pays avaient obtenu des médailles. En 1996, ils étaient 79, et en 2012, 85. A Rio, on en est à 81, et les Jeux ne sont pas terminés. Parmi ces «pays», l’équipe des réfugiés et le Kosovo, qui n’est pas reconnu à l’ONU. Contrairement aux Coupes du monde, tous les pays et tous les sports sont représentés aux JO : chacun peut avoir sa chance. La multiplication des sports présentés permet aussi à chaque pays de cultiver un effet de niche, pour améliorer ses chances d’obtenir une médaille.

Y a-t-il des stratégies différentes entre les pays qui ont un poids économique et démographique important, et les pays beaucoup plus modestes ?

Plus que le poids, c’est plutôt la capacité des pays à investir dans le sport qui permet les performances. Les Etats-Unis sont la puissance globale, ils peuvent investir dans tous les sports. Mais tous ont des niches, comme la Grande-Bretagne, la Russie ou la Chine. Ce n’est pas le PIB qui permet le résultat mais plutôt la spécialisation et un effet d’entraînement. Lorsqu’un pays obtient des résultats, comme la Jamaïque au sprint, cela vient motiver tous les jeunes du pays pour faire du sprint. La démographie n’a rien de surdéterminant, sinon l’Inde, le Brésil ou l’Indonésie seraient à un autre rang au classement. La vraie question, ce sont les moyens mis dans des structures pour la pratique du sport.

A l’instar de la Grande-Bretagne (lire ci-dessous), l’argent investi joue beaucoup dans le succès d’une délégation…

La Grande-Bretagne avait une volonté politique forte de développer ses performances sportives bien avant les JO de Londres en 2012. C’est l’Etat qui organise le sport, ou laisse le sport s’organiser, comme aux Etats-unis. Après le fiasco de Rome en 1960 [la France était repartie avec cinq médailles dont aucune d’or], le général de Gaulle avait pris des mesures pour que la France ne soit plus ridicule dans les enceintes olympiques : il estimait que le rayonnement du pays passait par le sport. Les Britanniques ont poussé plus loin cette logique. Tous les moyens ont été donnés pour que les performances soient au rendez-vous.

Comment expliquer le poids olympique dérisoire de l’Inde malgré son poids démographique et économique croissant ?

Tout d’abord, le rapport particulier des hindous au cuir rend difficile la pratique de beaucoup de sports. Le système de castes, qui n’existe plus officiellement, persiste aussi dans les mentalités. Pas simple dès lors de se dépasser pour exprimer son talent sportif. Enfin, il n’y a jamais eu d’organisation étatique du sport. Il n’y a guère d’infrastructures, à part pour le cricket. Ce fossé entre le statut auquel prétend l’Inde – être la 6e puissance mondiale – et sa position de 81e puissance sportive aux JO embarrasse les autorités. Un jour ou l’autre, le gouvernement organisera un système sportif national.

Quand on regarde le classement des primes à la médaille, on voit qu’il y a autant des régimes autoritaires que de régimes démocratiques qui rémunèrent bien leurs médaillés…

Pour de petits pays qui ne rayonnent pas souvent aux JO, c’est un moyen de récompenser celui qui devient un héros en rapportant une médaille. Au-delà de la prime que peut donner un Etat, c’est surtout la considération, la gloire, qui importe aux athlètes. Les médaillés aux JO deviennent des figures éternelles du sport, d’autant plus dans les pays où les médaillés sont rares. Une place sur le podium donne une aura nationale pour le restant de ses jours.

Briller aux JO par le nombre de médailles reste-t-il un moyen de s’imposer symboliquement sur la scène géopolitique ?

Oui, car la concurrence est de plus en plus rude pour exister sur une scène internationale toujours plus encombrée. On voit bien à Rio que la médiatisation de cet événement sportif est sur une pente ascendante. Regardez le nombre de chaînes de télévision et de journaux qui couvrent quotidiennement les compétitions. Il y a à la fois une diversification et une concentration de la notoriété. Le fait de réussir aux Jeux devient de plus en plus important pour les pays et reste un moyen non seulement de montrer sa puissance, mais de le faire pacifiquement, de façon sympathique.

Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe entre cette visibilité croissante des Jeux, leur hypermondialisation et le traitement cocardier, quasi nationaliste de beaucoup de médias ?

A part certaines remarques déplacées, c’est un nationalisme soft qui s’exprime aux JO. C’est le paradoxe du sport : il est le symbole même de la mondialisation, mais alors que celle-ci efface les identités nationales, les Jeux viennent les renforcer. C’est un moyen de recréer du lien national. Regardez en France, Valérie Pécresse et Anne Hidalgo sont allées ensemble défendre la candidature de Paris pour les Jeux de 2024. Tous les représentants politiques, malgré leurs divergences, sont à l’unisson pour célébrer Teddy Riner et tous les médaillés français. Ceci est vrai dans tous les pays. Tout le monde se regroupe derrière les héros de l’identité nationale que sont les sportifs qui participent aux Jeux olympiques.

Propos recueillis par Christian Losson et Aude Massiot
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