ANALYSES

« Ne pas exclure la Russie est une décision éminemment géopolitique »

Presse
2 août 2016
Interview de Pascal Boniface - Le Figaro.fr
Quelle lecture faites-vous de la décision du CIO de confier aux fédérations internationales la responsabilité de l’exclusion des sportifs russes ?

Le CIO a pris une décision éminemment géopolitique. Les preuves d’un dopage organisé à l’échelle nationale étaient évidentes, mais le CIO n’a pas voulu imposer à la Russie l’humiliation d’être le troisième pays exclu des JO de façon globale après l’Afrique du Sud de l’apartheid et de l’Afghanistan en 2000 à la suite de la prise du pouvoir par les talibans et l’interdiction faite aux femmes de pratiquer le sport. J’imagine que, de son point de vue, le CIO a voulu prendre une position médiane de sanctionner des sportifs russes convaincus de dopage sans sanctionner la Russie comme nation. Poutine et les Russes vont crier au complot occidental, les Occidentaux vont penser que la punition n’est pas assez sévère. C’est néanmoins un revers important pour Poutine. L’image de la Russie est endommagée.

Quelle place peut, dans un contexte politico-économico-sportif trouble ces derniers mois, occuper la Russie à Rio ?

La Russie, qui va organiser la Coupe du monde de football dans deux ans, a subi un camouflet avec la décision de la Fédération internationale d’athlétisme de bannir ses athlètes des JO. Il va y avoir une moins bonne ration de médailles que d’habitude pour la Russie. Et, par ailleurs, son équipe de football a été éliminée dès le premier tour de l’Euro et, à deux ans de leur Mondial, ce sont, plus que les footballeurs, les hooligans russes qui se sont fait remarquer. Alors que l’enjeu du Mondial est extrêmement important pour Poutine, il y a des défis à relever, en termes d’image et de sécurité d’ici deux ans. Il faudra un Mondial 2018 particulièrement réussi sur le plan de l’accueil des équipes et des supporteurs étrangers mais également sur le plan de la qualité du football de l’équipe russe pour modifier cela. Poutine a misé sur le sport mais là il a perdu des points en termes d’image.

Que doivent aujourd’hui représenter les JO et que doivent-ils éviter ?

Les soupçons de dopage sont extrêmement importants, il est donc essentiel qu’ils soient sanctionnés. Le fait d’avoir intensifié la lutte contre le dopage et de pouvoir remonter dans le temps pour trouver ceux qui ont triché représente une garantie pour l’avenir, que les Jeux soient plus respectueux de l’intégrité du sport. Les JO doivent donner une image positive, celle d’une véritable compétition ouverte dans laquelle tout le monde est représenté et où la triche est interdite. Le Village olympique, de par la communion d’athlètes venant d’une multitude de pays et de sports différents, est une représentation symbolique d’un village global et d’une humanité.

Vous écrivez que Rio sera une grande fête du sport, en êtes-vous toujours aussi sûr au regard des scandales charriés par le sport ces derniers mois et les difficultés politiques et économiques du Brésil ?

Ce ne sera pas le triomphe attendu lorsque Rio avait été désignée ville hôte en 2009, entre-temps le Brésil a baissé de rang, des scandales ont éclaté. Il y a eu des remises en cause de la classe politique, le pays a un problème de gouvernance, mais je pense qu’il y aura une parenthèse enchantée à partir de vendredi. Les différentes compétitions permettront aux uns et aux autres de se transcender sur le plan sportif et de donner de la joie aux spectateurs et aux téléspectateurs et je pense que les Cariocas auront à cœur d’accueillir au mieux possible tous les visiteurs étrangers.

Quels sont les enjeux de ces premiers Jeux en Amérique du Sud ?

Pour les Brésiliens de montrer qu’au-delà de leurs problèmes actuels, politiques et économiques, ils sont à l’heure au rendez-vous, que les infrastructures sont prêtes, qu’ils sont capables d’être les hôtes non seulement des JO mais du monde entier. La façon dont les Jeux se tiendront, dont les infrastructures seront utilisées, le visage qu’offrira la ville aux visiteurs sur place mais aussi aux centaines de millions de téléspectateurs, c’est un enjeu extrêmement important pour l’avenir de la ville et du pays.

Propos recueillis par Jean-Julien Ezvan
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