ANALYSES

« L’Euro est une bulle un peu heureuse dans un pays qui ne l’est pas »

Presse
11 juillet 2016
Interview de Pascal Boniface - L'humanité
On a l’impression que l’engouement des Français pour cet Euro s’est fait attendre et qu’il s’est déclenché avec la victoire des Bleus sur l’Allemagne. Partagez-vous ce sentiment ?

Non. Je trouve plutôt qu’il y a eu une montée en puissance. Lors des matchs préparatoires, on sentait déjà qu’il y avait de l’engouement. Les entraînements étaient très suivis. C’est sûr qu’une victoire contre l’Allemagne, avec toute la dramaturgie liée aux rencontres entre ces deux pays, constitue un pic. La qualité du jeu de l’équipe de France est montée en puissance. L’engouement aussi. Mais on n’est pas parti de zéro. L’histoire de la relation de la France et de son public a changé le 17 novembre 2013 lors de la victoire contre l’Ukraine (3-0).

Knysna a été digéré ?

Oui. L’épisode n’a pas été oublié et il restera comme la chose à ne pas faire. Mais c’est maintenant une page qui est tournée. Il existait une animosité après Knysna. Nous ne sommes pas pour autant aujourd’hui dans une unanimité car on ne peut jamais retrouver 100 % des personnes derrière une équipe. Mais disons que les amoureux du foot qui étaient déçus par l’équipe de France ne le sont plus aujourd’hui.

On a quand même le sentiment que, depuis le début, un drôle de climat entoure cet Euro…

II y a un climat bizarre dans le pays. Certains doutaient que la France, en organisant cette compétition, puisse faire face aux enjeux sécuritaires. À part les incidents provoqués par les hooligans russes, tout s’est bien passé. Il y a aussi le climat social et politique. Les débats sont vindicatifs entre les partis mais même à l’intérieur de chaque parti. Ajoutez, avant l’Euro, une météo qui n’a jamais été aussi négative puis les inondations. Pourtant, la compétition n’a pas été affectée par cela. Contrairement à ce que certains craignaient, l’Euro n’a pas subi les conséquences des revendications sociales, n’a pas été perturbé par des grèves. L’Euro est une sorte de bulle un peu heureuse dans un pays qui ne l’est pas beaucoup.

Pour la première fois depuis bien longtemps lors d’une compétition de football, il n’y a pas eu de sortie médiatique du FN contre l’équipe de France. Qu’est-ce que cela dit ?

II est vrai que le FN avait pris l’habitude de critiquer l’équipe de France, jugeant qu’il y avait trop de Noirs. La mixité de l’équipe était rejetée. Là, j’ai entendu Florian Philippot dire qu’il soutenait les Bleus. Cela fait partie de la reconfiguration globale du discours du FN, qui atteint également l’équipe de France. Et comme ils ont compris que l’équipe de France était très populaire, ils ne s’y attaquent pas.

Concernant le déroulement de la compétition elle-même, la bonne surprise, c’est le spectacle dans les tribunes et dans les rues avec les supporters irlandais, gallois, islandais.

C’était une fête de voir partout des supporters qui portent le maillot de leur équipe, qui chantent. Il y a eu un problème spécifique avec les hooligans russes et c’est à la Russie de régler cela avant leur Mondial en 2018.Mais à part cela, l’Euro a été une fête permanente et la façon dont il s’est déroulé vient consolider le dossier de candidature de Paris à l’organisation des JO en 2024.

Les supporters ont fait le sel de ce tournoi mais les organisateurs ont tendance à vouloir les encadrer (animations, fan-zones). De manière un peu factice car, ce que l’on retiendra de l’Euro, c’est le « clapping », un imprévu qui surgit en plein milieu de l’hyper-organisé…

Effectivement, le match est de plus en plus un spectacle. Avant, on allait au stade, on mangeait son sandwich, on regardait le match et on repartait. Aujourd’hui, il y a des animations. On trouve cela partout. Ce n’est pas propre à l’Euro. On a ça aussi dans les matchs de championnat de France. Cela ne concerne pas que le football. On met en scène la compétition sportive. L’idée est que les gens n’aient rien à faire. La volonté est de trouver les moyens de les occuper en permanence. Il est certain que c’est également lié aux intérêts économiques.

Entretien réalisé par Christophe Deroubaix
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