ANALYSES

Allemagne : vers un tournant stratégique ?

Interview
6 juillet 2016
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
Angela Merkel a annoncé vouloir engager un effort militaire sans précédent en Allemagne. Est-ce un tournant historique dans la politique de défense allemande ?

On peut effectivement parler de tournant historique dans la mesure où, jusqu’alors, l’Allemagne avait un budget relativement limité par rapport à sa puissance économique. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands n’ont naturellement pas fait preuve d’une appétence pour les opérations militaires. Cette politique évolue progressivement depuis la fin de la guerre froide bien que l’Allemagne, un pays qui a considérablement profité des dividendes de la paix, ait conservé des niveaux de dépense budgétaire en matière de défense relativement bas (1,2 % du PIB annuel).
Aujourd’hui, et en réalité depuis la réélection d’Angela Merkel en 2012, l’Allemagne s’emploie à développer une véritable politique internationale mondiale qui implique inévitablement un engagement plus soutenu dans les problématiques de défense. Les Allemands ne peuvent plus se permette d’être éternellement absents des questions stratégiques de défense, s’ils veulent pouvoir peser réellement à l’international.
L’augmentation du budget de la défense constitue l’une des premières traductions de cette ambition. Au début de l’année 2016, l’Allemagne a annoncé vouloir consacrer un peu plus de 9 milliards d’euros sur la période 2017 – 2020 au budget de la défense. Une telle croissance budgétaire n’est pas visible dans les autres pays européens, même si la France a également fait un effort depuis les attentats terroristes.

Face aux défis stratégiques européens, l’Allemagne se prépare-t-elle à s’impliquer davantage en Europe ?

Historiquement, c’est d’abord la France qui s’est impliquée dans la construction d’une Europe de la défense. Ce projet a commencé à se concrétiser avec le Traité de Maastricht en 1992 qui pose le principe d’une politique étrangère commune. Depuis lors, l’idée d’une politique de défense commune s’est développée notamment à l’occasion du Sommet franco-britannique de St Malo puis à partir des années 2000 avec la construction européenne en matière de défense.
L’Europe de la défense est donc à l’origine une idée française qui bénéficiait du soutien de l’Allemagne, mais qui devait faire face à l’opposition britannique, plus favorable à l’Otan. Pour autant, il faut noter que les Britanniques furent à l’origine du Sommet de St Malo, considérant que les Européens ne pouvaient uniquement reposer sur les dispositifs américains et devaient donc par conséquent développer leurs propres capacités militaires.
Cependant aujourd’hui, la volonté allemande de jouer un rôle plus important en matière de défense au sein de l’Union européenne change la donne, d’autant plus que le Brexit pourrait bien renforcer cette ambition. L’Allemagne s’est déjà employée à renforcer la défense européenne, mais seulement dans le cadre de l’Otan, avec le Framework Nation Concept, une initiative qui vise notamment à organiser des capacités communes militaires avec un certain nombre de pays membres de l’Otan et de l’Union européenne. 16 pays sont aujourd’hui des partenaires du Framework Nation Concept.
Il est évident que si les Allemands accroissent leur participation financière à la défense européenne, c’est aussi pour jouer un rôle politique dans ce domaine. Avec le retrait britannique, la France va se retrouver en face à face avec les Allemands sur ces questions. Cette nouvelle configuration pourrait être une excellente chose, dans la mesure où elle pourrait rétablir le moteur franco-allemand. Cependant, la France, qui avait autrefois le leadership en matière d’Europe de la défense, pourrait bien perdre ce privilège au profit de l’Allemagne.

Quelles conséquences géopolitiques pour la réaffirmation de la puissance allemande ?

Le fait que l’Allemagne prenne ses responsabilités en matière défense est de toute façon une excellente chose. L’Allemagne a suffisamment était critiquée pour sa faible implication dans les opérations extérieures pour qu’on ne puisse pas se réjouir d’une augmentation du budget de la défense allemand.
A l’avenir, le nouveau positionnement de l’Allemagne en matière de défense posera au moins une grande problématique : quel est le projet allemand en matière d’Europe de la défense ? Sur cette question, il est absolument essentiel qu’il soit un projet franco-allemand. Paris et Berlin doivent s’entendre ensemble sur le futur de l’Europe de la défense, et être à l’initiative dans ce domaine afin de ranimer une Europe de la défense actuellement au point mort. Il est indispensable que les Européens s’organisent mieux sur ces questions-là pour répondre aux nombreux défis européens, des questions de défense liées au terrorisme à la problématique sécuritaire posée par la crise des réfugiés. Sur toutes ces problématiques, mais aussi sur les défis extérieurs, il faut donner une réponse européenne et non pas une réponse strictement nationale.
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