ANALYSES

Quelles priorités européennes après le Brexit ?

Tribune
28 juin 2016
Le choix du Brexit par les Britanniques est un facteur d’incertitudes qui peut exercer des effets domino en entraînant l’éclatement de l’Union européenne ou du Royaume-Uni. Il est révélateur de nombreuses fractures sociales, idéologiques et territoriales au sein des Etats-nations européens, du Royaume-Uni et de l’Union européenne dans un contexte de mondialisation non régulée.

1/Ce vote traduit au sein du Royaume-Uni un clivage territorial entre d’une part les villes du littoral du Sud (retraités, chômeurs), les cités du Nord désindustrialisées et d’autre part, les grandes villes entre d’un côté l’Ecosse, l’Irlande du Nord et de l’autre l’Angleterre. Il exprime également une fracture socio-économique opposant les vieux aux jeunes, les xénophobes à ceux qui acceptent les étrangers, et les catégories peu scolarisées aux élites instruites. La désunion du Royaume-Uni peut conduire à sa décomposition suite à un éventuel rattachement de l’Ecosse à l’Union européenne (UE), voire au renforcement du lien entre les deux Irlande. Dans un monde financiarisé et mondialisé, ces fragmentations ne sont réductibles aux clivages gauche/droite, ni à une opposition entre le « peuple » et les « élites ».

2/ On peut évidemment mettre en avant des facteurs a priori secondaires, pourtant constructeurs d’histoires, comme la compétition et l’irresponsabilité politique des deux anciens collégiens d’Eton, Dave et Boris. David Cameron a joué avec le feu et a finalement perdu son pari en misant sur le remain. Son rival de toujours, Boris Johnson, a fait le pari inverse en cherchant à avoir le beurre et l’argent du beurre – bénéficier des avantages du Marché commun et de la place financière de Londres sans en assumer les charges – et en considérant que « rien ne doit changer à court terme ».

3/ En France, le Front national comme le Front de gauche crient victoire. Sur la scène internationale, Donald Trump a la même position que Vladimir Poutine. Les partis populistes et europhobes autrichiens, danois, néerlandais, jouent sur ces fractures pour considérer que la volonté du peuple est bafouée par la technocratie européenne.

4/ L’UE a évidemment sa part de responsabilité en étant un empire normatif privilégiant le droit et le marché, mais aussi une technocratie acceptant bien souvent les dénis de démocratie et le poids des lobbies. Son élargissement, sans approfondissement suffisant, a de fait favorisé les logiques marchandes et les ouvertures tous azimuts souhaitées par les Britanniques. L’article 50 du traité de Lisbonne a rendu possible le divorce mais fait preuve d’amateurisme et d’impréparation en ne précisant ni les calendriers, ni les modalités financières du divorce. Mais la responsabilité majeure tient aux Etats-nations et aux dirigeants politiques qui n’ont jamais voulu assumer leurs responsabilités en dénonçant Bruxelles, en privilégiant les « intérêts nationaux » et en négligeant les apports de chacun des Etats membres. Le couple fondateur franco-allemand est en panne et les autres Etats membres sont divisés et en seconde position.

5/ L’arrière-plan de ces fractures est lié à la financiarisation du capitalisme, au poids dominant des multinationales et à la rapidité des révolutions technologiques. Les régulations, qui n’ont aujourd’hui de pertinence qu’à des niveaux supranationaux, sont largement insuffisantes même si des avancées ont été obtenues notamment vis-à-vis des paradis fiscaux. L’Europe a du mal à s’intégrer positivement et de manière non excluante à la mondialisation.

6/ Les analyses et les prévisions « rationnelles » des économistes sont devenues inaudibles. Elles montraient les risques d’un Brexit, mais exposaient également les avantages d’un maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, qui compenseraient les coûts, et qui finalement conduiraient à un jeu à somme positive permettant aux gagnants de compenser les perdants de la financiarisation du monde. La croissance actuelle génère des inégalités ; le ruissellement des riches vers les pauvres est remis en question. Les référents idéologiques, les frustrations, les peurs, les pertes de repères l’emportent pour les populations sur les calculs économiques. Les travaux des économistes font, de plus, abstraction du fait qu’un processus de désintégration d’institutions ayant été construites en plusieurs décennies n’est pas le symétrique du processus d’intégration. La situation du Royaume-Uni après le Brexit n’est pas celle de la Norvège, membre de l’espace économique européen.

Comment refonder l’Europe et éviter les effets de contagion ?

Tous les hommes politiques et les analystes préconisent des réformes et considèrent qu’il faut entendre ce cri de détresse ou ce vote populaire. Plusieurs observateurs proposent un référendum dont on sait qu’il répond rarement à la question posée mais traduit un vote sanction vis-à-vis des dirigeants

Au-delà des réformes institutionnelles longues ou d’une Europe porteuse de projets d’investissements et générateurs d’emplois, certaines mesures immédiates s’imposent.

1/ Il faut évidemment accepter le vote dont les seuls responsables sont les Britanniques. Il s’agit, en revanche, d’éviter que le Royaume-Uni bénéficie du Marché unique sans en payer les charges et ait un statut proche de celui de la Norvège. La priorité est que l’Union européenne ait une position claire sur les principes de base, qu’elle mobilise les opportunités qu’offre le Traité de Lisbonne et qu’ensuite les Britanniques voulant divorcer acceptent, ou non, les conditions européennes. Il faut éviter de donner du temps au temps et de gérer rapidement certains dossiers fondamentaux. Un des dangers majeurs est que la régulation de la finance et les ébauches d’harmonisation fiscale soient remises en question et que la City de Londres devienne le Jersey de l’Europe par un dumping fiscal et par la suppression des régulations en cours. L’accord international au sein de l’OCDE, visant à éviter les pratiques d’évasion fiscale, le « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting), devrait être renforcé. La base de la négociation devrait reposer immédiatement sur ce préalable. Elle concerne l’UE mais également l’AELE et l’OCDE avec la Grande Bretagne. La question politique majeure n’est pas de redonner la voix au « peuple » et de confondre les agendas électoraux des Etats membres avec les enjeux européens mais de réaliser une régulation politique de la mondialisation et une reconquête des territoires.

2/ Il s’agirait de rebâtir des pactes nationaux, lisibles, visibles et appuyés par l’Union européenne, qui soient à même de réduire les fractures sociales et territoriales (fonds régionaux, structurels, réformes fiscales, lutte contre la corruption, politiques concertées vis-à-vis des migrants et des réfugiés, etc.). Les textes le permettant existent déjà. Les seuls obstacles sont politiques et de nouvelles consultations populaires ne sont pas opportunes dans le contexte actuel. L’harmonisation des fiscalités et des règles sociales, reposant sur les coordinations entre les syndicats ayant une dimension européenne, sont des conditions sine qua non pour que les étrangers ne soient pas perçus par les populations vulnérables comme des menaces. L’idéal du plein emploi paraît illusoire dans un monde numérique et la croissance des pays matures sera vraisemblablement de l’ordre de 2%. Dès lors, les réformes doivent viser à reterritorialiser les activités et à favoriser les polyactivités en générant du travail pour les diverses catégories sociales.

3/ Il importe également de voir quelle position doit avoir le Royaume-Uni vis-à-vis de défis communs concernant les grands enjeux géopolitiques, peu présents dans les débats politiques tels la sécurité et l’Europe de la Défense, la régulation et les accords internationaux concernant les flux de réfugiés et migratoires, les aléas climatiques, le positionnement vis-à-vis des émergents et autres thèmes comme les relations avec le Sud.

4/ Le sursaut européen ne viendra pas d’une Europe à la carte à géométrie variable. La refondation de l’Europe passe par la connaissance et la reconnaissance de la variété des cultures, des pratiques sociales, des réformes des Etats membres mais également des solidarités. Elle suppose que les responsables présentent de manière simple le bilan de l‘Union européenne et les applications du principe de subsidiarité. L’Union européenne doit ainsi redevenir un projet du futur et un combat politique, pour éviter de retomber dans les rivalités anciennes, mais également une puissance intégrée dans un monde en voie de multipolarisation, capable d’engager une régulation politique de la mondialisation ainsi que la création d’un espace de solidarité, notamment vis-à-vis du Sud.
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