ANALYSES

Assassinats de Magnanville : « Notre système est débordé, inefficace, ou les deux… »

Presse
15 juin 2016
Pourquoi pouvait-on s’attendre à ce type d’attaque ?
Ce n’est pas du tout une surprise : Daech appelle depuis longtemps à prendre des initiatives comme celle-ci. Les djihadistes prétendants qui ne peuvent pas aller combattre en Irak ou en Syrie sont appelés à s’attaquer à des cibles avec ce qu’ils ont sous la main, et même avec des cailloux, un couteau ou une voiture. D’autre part, les policiers et magistrats font partie depuis quelques mois déjà des cibles importantes et enfin, Daech avait fait un communiqué disant qu’il fallait intensifier les attentats pendant la période de ramadan.

Le ramadan n’est-il pas censé être une période d’accalmie, d’introspection ?
C’est une période où l’on est censé se rapprocher du Créateur, mais selon votre interprétation de l’islam, vous serez dans une période pacifique ou au contraire dans une période où il faut combattre encore plus vigoureusement les ennemis de l’islam.

Comment peut-il avoir choisi sa cible ?
C’est du djihad de voisinage. Le terroriste vivait à quelques kilomètres du commissariat de ce policier. On va peut-être découvrir qu’ils se connaissaient, peut-être que le policier est intervenu dans l’une des affaires judiciaires de ce jeune homme. On voit de plus en plus dans ce djihadisme amateur, c’est-à-dire non organisé, des cibles faciles et une cristallisation autour d’obsessions personnelles, un défoulement au travers d’attentats. À titre d’exemple, celui qui a tué des homosexuels dans la discothèque en Floride avait visiblement un problème avec sa sexualité.

Ce jeune terroriste avait été condamné pour avoir été impliqué dans une filière de djihadistes, il avait plusieurs fiches S, et il était sur écoute judiciaire. Comment peut-on passer à côté de ce genre d’actes ?
Il avait le profil parfait comme Merah, comme les Kouachi et Coulibaly, avec tous un dossier. Tout d’abord les peines de prison qui leur avaient été infligées étaient clémentes, et puis très diminuées grâce aux réductions de peine. Par exemple, Larossi Abballa avait ouvert un snack à Mantes-la-Jolie, on a donc considéré qu’il était réintégré ! D’autre part, il y a trop de fiches S (pour sûreté de l’État), elles ont été bien établies, mais le problème c’est qu’on n’a pas les analystes qui sont capables de décider parmi ces milliers de fiches quels individus sont vraiment dangereux. C’est bêtement quantitatif, il y a trop de candidats potentiels et donc dès qu’ils racontent l’histoire de la réintégration qu’on veut entendre et qu’ils se tiennent à carreaux quelques temps, la surveillance se relâche. À la décharge des policiers, on n’a pas les moyens de suivre pendant des années ceux qui ne sont plus dans les radars.

Visiblement, les mesures prises dans le cadre de l’État d’urgence n’ont pas fait leurs preuves…
Certes on ne sait pas combien d’attentats on a évité mais ça fait déjà 7 mois et on n’a pas l’impression que cela a beaucoup augmenté notre capacité de renseignements et de repérage des éléments dangereux. Soit notre système est débordé, soit il est inefficace. Ou les deux…

Est-il possible que certains criminels donnent une teinte terroriste à des homicides « classiques », simplement pour en augmenter leur retentissement ou pour aller au paradis?
Ces gens ont des haines personnelles et s’ils peuvent satisfaire leur appétit de vengeance tout en ayant la certitude d’aller au paradis, ça peut pousser encore davantage au passage à l’acte, mais là on est dans un secret qu’on ne pourra jamais connaître…

Que cela soit à 100% religieux ou pas, pour l’État Islamique c’est tout bénéfice…
En effet, parce qu’ils sont à la fois capables d’envoyer des commandos très organisés comme au Bataclan, et en même temps ils donnent un feu vert à tous ceux qui ont un appétit de violence en leur disant « Allez-y les gars, ne nous demandez même pas d’instructions ». Mais je trouve quand même que pour cet acte, et celui d’Orlando, l’agence de presse de l’EI a réagi très vite. Donc soit ils sont en veille toute la journée sur les dépêches d’agences de presse du monde entier et ils revendiquent le moindre fait qu’ils peuvent s’attribuer avec un investissement quasiment nul, soit ces gars-là, sans agir sur instructions, doivent avoir un correspondant à qui ils disent qu’ils vont agir incessamment sous peu…

Entretien réalisé par Romain Capdepon
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