ANALYSES

Brésil, la Présidente élue mise au coin au prix d’un cache-texte démocratique à haut risque

Dilma Rousseff réélue par 54 millions de Brésiliens en 2014 a été chassée du pouvoir de vilaine manière en 2016 par sénateurs et députés.

Vilaine manière en effet si l’on s’en tient à la lettre de la Constitution. Le motif constitutionnel évoqué est en effet si ténu, qu’il n’a pratiquement pas été évoqué par les parlementaires. La présidente serait selon ceux qui l’ont condamnée à rendre son tablier, auteur « d’un crime de responsabilité » constitutionnelle. Son crime serait d’avoir présenté un budget excessivement optimiste et donc trompeur à la veille des présidentielles de 2014. C’est la définition figurant à l’article 85 de la Loi fondamentale brésilienne qui a été l’alibi donnant une couverture minimale à un coup bas politique.

Vilaine manière en effet si l’on se reporte au récit ayant accompagné la destitution. Le récit de cette mise à l’écart, tel qu’il a été fabriqué et véhiculé par les médias brésiliens, pratiquement tous opposés à la présidente et à sa formation, est d’une clarté aveuglant la réalité des faits. La Présidente et son parti corrompus (le PT) auraient conduit le pays à la ruine. La chef de l’Etat paradoxalement en cette histoire n’est au cœur d’aucune affaire d’argent sale. Alors que Michel Temer, président par intérim, est interdit d’élections dans son Etat d’origine São Paulo pour fraude électorale. Alors que le président du Sénat est mêlé au scandale Lava Jato. Tout comme celui du Congrès, démis pour indignité… après avoir orchestré le vote de destitution de la présidente. Et que selon l’ONG « Transparence Internationale », plus de 300 députés et 61% de sénateurs ont été ces dernières années mis en cause dans des affaires troubles.

Cache-texte démocratique, oui, dans la mesure où députés et sénateurs souhaitaient une autre politique économique. La Constitution brésilienne étant présidentialiste, les parlementaires ne peuvent renverser l’exécutif par adoption d’une motion de censure. Les élus opposés à Dilma Rousseff ont donc bricolé une alternance politique au prix d’un détournement de l’article 85 de la Loi fondamentale. Ce précédent est tout à la fois lourd de conséquence pour le présent démocratique du Brésil, ainsi que pour sa stabilité institutionnelle. La Constitution ayant été adoptée en 1988, tous les responsables ayant présenté le budget de façon excessivement avantageuse avant une consultation électorale vont-ils faire l’objet de poursuites ?

Cache-texte démocratique avoué par les parlementaires au moment de justifier leur vote de destitution. Cache-texte démocratique révélé dès la constitution du gouvernement intérimaire de Michel Temer. Le 17 avril 2016 qu’ont dit les députés pour justifier leur vote. Les plus sincères ont vociféré, un « Dehors Dilma, dehors le PT ! ». Les « intellectuels » ont justifié leur fraude constitutionnelle par l’urgence, le pays ne pouvant plus attendre une remise à niveau d’une économie en capilotade.

La manœuvre politique est en effet à haut risque. Députés et sénateurs ayant voté la destitution étaient pour beaucoup d’entre eux membres de la majorité jusqu’à la fin mars 2016. En quelques jours PMDB, PSD, PP, PR ont tourné casaque. Poussés « au crime parlementaire » par une presse vigoureusement engagée contre la présidente sous la houlette du groupe Globo, et de la quasi-totalité des « grands hebdomadaires » (Epoca, Istoe, et surtout Veja). Le patronat local était également de la partie et a encouragé avec ses moyens et sa dialectique le retournement des parlementaires. La démocratie brésilienne reconquise avec beaucoup de douleur à la fin des années 1980 a en quelques jours perdu beaucoup de sa crédibilité et de sa légitimité.

La manœuvre politique a pris des couleurs de lutte des classes dès la constitution du gouvernement Temer. Pour la première fois depuis le rétablissement de la démocratie le gouvernement brésilien ne compte aucune femme, et pas un noir ou métis. L’élite traditionnelle, héritée de l’habitation esclavagiste (la casa grande) a repris les commandes sans partage. Le ministre de l’éducation, José Mendonça Filho, a présenté comme député des recours contre les lois votées ces dernières années accordant un quota correctif aux afro-descendants. Blairo Maggi, le nouveau ministre de l’agriculture est un entrepreneur de l’agro-alimentaire. Bruno Araujo doit sa nomination au ministère de la ville à son vote, comme député, symboliquement décisif pour la destitution de la présidente. Ronaldo Nogueira de Oliveira, ministre du travail, est un pasteur évangéliste, religion porteuse d’une théologie dite de la prospérité. Ministères de la culture et du développement social ont disparu. 30% des membres de ce gouvernement sont cités dans le scandale financier, Lava Jato.

Les premières mesures annoncées ne sont d’ailleurs pas celles attendues d’un gouvernement intérimaire. Loin de se borner à gérer les affaires courantes pendant les 180 jours du procès intenté à la présidente par députés et sénateurs, Michel Temer a annoncé une politique rompant avec celle de ses prédécesseurs avec lesquels pourtant il a été élu. Le social ne sera plus priorisé. Il sera soumis au principe de réalité et à de nécessaires réformes visant à réduire les dépenses de l’Etat. Henrique Meirelles, ministre de l’économie a indiqué que sans tarder la nouvelle équipe allait procéder « à un nécessaire ajustement budgétaire ». Des privatisations ont été annoncées. Le ministre de la santé a complété le tableau en ce qui le concernait de la façon suivante : « Nous allons réviser les choses comme en Grèce qui a revu à la baisse les retraites, parce que l’Etat n’a pas les moyens de tout faire ».

Ce cache-texte démocratique embarrasse les partenaires du Brésil. La sympathie politique de certains n’a pu s’exprimer pleinement en raison du raccourci constitutionnel brutal pris par les tenants actuels du pouvoir. D’autres ont clairement signalé qu’ils ne reconnaitraient pas un gouvernement à leurs yeux non démocratique. Déjà au prise avec une grave récession économique, le Brésil est désormais entré dans une phase d’incertitudes intérieures et diplomatiques génératrice de remous chez ses voisins.
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