ANALYSES

Boko Haram : éclairages

Presse
6 mai 2016
Interview de Samuel Nguembock - 54 Etats
À l’approche des élections de 2015, les élites politiques et hommes d’affaires du Nord ont été soupçonnés de soutenir Boko Haram pour déstabiliser le gouvernement de Goodluck Jonathan qui lui-même a été accusé de laisser pourrir la situation pour affaiblir les États du Nord. Plusieurs figures politiques ont été accusées de soutenir Boko Haram. Par ailleurs, le président du Tchad a également regretté le manque de réactivité et de coopération de Goodluck Jonathan. Que penser de ces affirmations? Peut-on parler d’un double jeu de Goodluck Jonathan? Au-delà de la conquête du pouvoir quels enjeux stratégiques (généralisation de la charia, main basse sur les ressources du pays …) se cacheraient derrière l’instrumentalisation (si effective) de Boko Haram ?
Beaucoup d’élucubrations ont été faites sur la guerre entre l’armée fédérale du Nigeria et Boko Haram. Il ne faut pas oublier qu’entre 2009 et 2011, Boko Haram n’a pas pu résister sur le plan opérationnel aux assauts lancés par l’armée nigériane. La répression brutale de cette dernière a d’ailleurs été à l’origine de la fuite des principaux leaders du groupe terroriste. Certains reproches faits à Goodluck Jonathan sont légitimes, notamment l’absence de prudence quant aux soupçons pesant sur les élites politiques et hommes d’affaires du Nord du pays. Un facteur qui a renforcé les lignes de clivage dans le pays et l’affaiblissement de la coopération entre les forces de défense et les populations. Mais il ne faut pas non plus être excessif dans les affirmations qui visent à consacrer une volonté de pourrir la situation ou un certain laxisme. En 2011, les capacités opérationnelles de Boko Haram sur le sol nigérian étaient remarquablement réduites. Ce dernier a utilisé le sol camerounais, profitant de l’absence de coopération entre les pays de la région, comme base arrière pour réorganiser ses troupes, ses équipements et procéder à de nouveaux recrutements dans la région. N’oublions pas que Goodluck Jonathan a ordonné en novembre 2011, la fermeture de la frontière entre le Nigeria et le Cameroun à cause du refus de droit de poursuite sur le territoire camerounais et de l’absence de coopération entre les deux pays. Cette absence de coopération ne doit donc pas être exclusivement imputée à l’ancien président nigérian. Les pays de la région n’ont pas exprimé une solidarité opérationnelle à l’adresse du Nigeria quand Boko Haram a redoublé ses capacités de nuisance sur le sol nigérian. Ces derniers ont commencé à être préoccupés de la menace du groupe terroriste quand celle-ci a eu un impact direct sur leurs territoires respectifs et occasionné des conséquences économiques dramatiques dans leurs pays. On peut donc comprendre la réaction de Goodluck Jonathan à ce moment-là. C’est grâce à la médiation de la France qu’un début de concertation bien tardive a lieu entre les pays de la région. La carte du « pire » liée à l’inertie des pays de la région a permis à Boko Haram d’administrer une riposte militaire bien organisée face à une armée nigériane qui présentait déjà des signes d’essoufflement accélérés par des choix tactiques inadaptés, des clivages politiques et l’affaiblissement d’une chaîne de commandement militaire gangrénée par la corruption.

Que signifie concrètement l’allégeance de Boko Haram à Daech ? Que va-t-elle changer ?
Faire allégeance à Daech pour Boko Haram signifie demander de se soumettre à l’obligation de fidélité et d’obéissance à Daech. C’est une manifestation de soutien et/ou de soumission envers le groupe État islamique. Obéissance et soumission donc à la doctrine, à l’idéologie, mais aussi acceptation de la hiérarchie et de la chaîne de commandement opérationnel vis-à-vis de Daech. Cela signifie par ailleurs, si l’on s’en tient aux déclarations du groupe État islamique en mars 2015, l’acceptation par le Calife de l’allégeance de Boko Haram et l’expansion par la même occasion du Califat en Afrique de l’Ouest. Sur le plan opérationnel, cela se traduit par des soutiens logistique, financier, technique, en hommes, en équipement et en termes de formation.
Faire allégeance à Daech accroit la capacité de nuisance opérationnelle et la mobilité de Boko Haram. L’acceptation de cette allégeance est une reconnaissance internationale qui lui offre plus de légitimité et de force pour étendre le mouvement à travers de nouveaux recrutements, l’acquisition ou la conquête de nouveaux espaces notamment ceux échappant au contrôle des forces de sécurité et de défense des pays de la région.

En annonçant le K. O « technique » de Boko Haram, le président Buhari n’a-t-il pas fait preuve d’un optimisme rapide et exagéré? En effet, les attentats-suicides perdurent. Est-il raisonnable de croire en une fin très prochaine de Boko Haram ?
Je pense que le K.O « technique » de Boko Haram dont parlait le président Muhammadu Buhari le 24 décembre 2015 était lié à l’affaiblissement des capacités militaires conventionnelles du groupe terroriste. Depuis 2013 jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Buhari en 2015, Boko Haram a enregistré de nombreuses victoires militaires face à l’armée nigériane et ce sur la base des affrontements militaires conventionnels. Des victoires qui lui permettaient de contrôler des pans importants de territoire au Nord-Est du pays. Il est clair aujourd’hui qu’on observe plus cette capacité de contrôle des territoires de Boko Haram. Cela fait suite non seulement à la réorganisation du dispositif militaire de l’armée nigériane mais aussi aux succès de la mobilisation régionale notamment l’entrée en guerre du Tchad contre Boko Haram et surtout la récupération par l’armée camerounaise des territoires qui servaient de base arrière à Boko Harma sur le sol camerounais.
La communication du président Buhari ne me semble pas exagérée. Je pense qu’il est dans son rôle. En tant que chef des armées, il est important qu’il s’exprime sur les victoires militaires de son armée sur Boko Haram. Il est important que les populations sachent que Boko Haram est en train de perdre du terrain et que ses capacités militaires ne sont plus les mêmes qu’au moment de son triomphalisme dans la région. Cette information les rassure et leur donne espoir pour l’avenir. C’est le moment aussi d’encourager et de féliciter le travail accompli par les forces de sécurité et de défense du Nigeria. Cette reconnaissance est une marque de confiance et un facteur décisif pour le moral des troupes. La presse aussi devrait accompagner cette dynamique. Au tant les informations étaient données en temps et en heure sur les victoires militaires de Boko Haram et les humiliations de l’armée nigériane, au tant elle devrait communiquer sur les succès militaires de cette dernière et l’affaiblissement des capacités opérationnelles du groupe terroriste. Il est vrai que chaque médaille a son revers, en l’occurrence il faut une communication de crise parfaitement maîtrisée.
En ce qui concerne la fin prochaine de Boko Haram, rien n’est impossible. Mais le réalisme impose de constater que la multiplication des attentats-suicides est difficilement maîtrisable à court terme.

Les agissements des forces de sécurité auraient contribué à renforcer l’action violente de Boko Haram. Partagez-vous cet avis ?
Il faut garder à l’esprit que Boko Haram est un groupe armé terroriste avec des ambitions doctrinales, idéologiques, opérationnelles et territoriales. Ce qui signifie que sa feuille de route est d’abord et avant tout liée à ces ambitions. Face à cette réalité, il y a deux choix possibles : soit les forces de sécurité et de défense qui ont pour missions d’assurer la protection de la population et l’intégrité territoriale décident de ne pas combattre et de ne pas remplir leurs missions, soit elles décident de le faire pleinement jusqu’à leur défaite totale.

 

Propos recueillis par Sandra Wolmer pour 54 Etats
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