ANALYSES

Dilma Rousseff « dégagée » au nom du Père, du Fils et de l´évangélisme médiatique

Tribune
20 avril 2016
Dimanche 16 avril 2016, plus des deux tiers des députes brésiliens ont envoyé leur présidente, Dilma Rousseff, devant un tribunal spécial. Enfin presque, puisque les sénateurs doivent encore se prononcer sur sa potentielle destitution. Ce devrait être chose faite le 10 mai prochain, après la constitution d´une commission ad hoc au sein de la Haute assemblée où le feu vert des sénateurs, invités à voter à la majorité simple, devrait entériner la procédure.

En un peu plus d´une année, la majorité présidentielle est passée de 304 élus sur 513, à seulement 128 élus, tandis que l´opposition voyait donc ses rangs grossir de 209 à 385 membres. Le changement de l´eau majoritaire en vin contestataire relève-t-il du mystère ? En partie seulement pourrait-on répondre, puisqu’un autre élément s’ajoute à l´opacité du drame politique. La présidente a en effet été jugée coupable d´un crime constitutionnel, dont pratiquement aucun député n´a parlé pour justifier son vote.

Maurice Leblanc serait de bon conseil pour éclaircir le mystère de cette Chambre introuvable. En quelques jours, du 29 mars au 14 avril, six partis et groupes parlementaires ont retourné leurs vestes majoritaires. À savoir les 67 députés du Parti du mouvement démocratique brésilien, les 46 adhérents du Parti progressiste, les 37 membres du Parti social-démocratique, les 32 élus du Parti socialiste brésilien, les 22 parlementaires du Parti républicain brésilien et finalement, les 19 partisans du Parti travailliste brésilien ; à quelques exceptions individuelles près cependant, puisque certains groupes avaient autorisé la liberté de vote.

Dans ce pays de croyances militantes, Dieu n’est jamais éloigné des discours. Nombreux ont été les représentants, évangélistes pour la plupart, qui ont justifié leur vote en faveur de la destitution de la présidente en faisant référence aux valeurs chrétiennes. D´autres, sans évoquer Dieu, ont affiché leur attachement à la famille traditionnelle et à l´ordre moral. Sans doute pour être bien compris, un député a martelé son credo sécuritaire en tenue militaire.

La défense de la morale a bien sûr été revendiquée haut et fort. Voter la destitution, selon divers orateurs, aurait été l´occasion de sanctionner une présidente, Dilma Rousseff, et un parti politique, le Parti travailliste (PT), qui auraient dévoyé le Brésil. Le vote sur la destitution de Dilma Rousseff portait pourtant bien sur une demande de destitution pour crime constitutionnel, et non pour corruption. Qui plus est, parler de corruption et d´ordre moral au cours d´un débat présidé par Eduardo Cunha – en attente indéfinie d´audition par la justice qui souhaiterait l´entendre à la fois sur ses comptes en Suisse, semble-t-il alimentés par les canaux du scandale Lava Jato, et sur sa présence sur les listes des Panama Papers – n´aura pas été l´un des moindres paradoxes d´un débat qui ne grandit pas la démocratie brésilienne.

Les intervenants les plus nombreux n´ont pas cherché si loin. Ils ont voté la destitution au nom d´un père centenaire pour l´un, d´une fille de 21 ans pour l´autre, tandis que les épouses, les nièces voire même les petits-enfants étaient souvent appelés en renfort. Les plus conceptuels ont été jusqu´à associer leur vote à une fenêtre d´espoir ainsi offerte à la jeunesse pour les uns, aux retraités pour d´autres.

Quant aux plus soucieux d´explications politiques, ils ne se sont pas embarrassés d´arguments juridiques et ont tout simplement légitimé leurs votes en faveur de la destitution parce que leurs électeurs, les Brésiliens, le souhaiteraient. Et puis, ont ajouté les plus sincères, basta de la clique au pouvoir, basta du PT, de Dilma et de Lula. En termes assez éloignés de la rhétorique parlementaire mais néanmoins éloquents, cela se traduisait par des « Fora Dilma, Fora Lula, Fora PT » (Dehors Dilma, Dehors Lula, Dehors le PT). Un député a de façon redondante accompagné son « Fora Dilma » d´un billet d’avion pour une destination lointaine, offert à la présidente et agité devant le micro des orateurs.

Enfin, les plus excités de l´un ou de l´autre groupes d´élus ont animé la session façon soirée football. Echarpes, insignes, maillots aux couleurs de la destitution, chansons et cris divers saluaient les votes hostiles à la présidente comme un but entrant dans les filets adverses. Collant à l’ambiance générale, quelques députés oublieux du contexte parlementaire ont brandi devant les caméras de télévisions, couvrant l´image des orateurs adverses, des cartons de couleur verte, légendés de la façon suivante: « Tchau Querida » (Tchao très chère)

La crise économique a remis les compteurs politiques brésiliens à zéro. La présidente élue avec 54 millions de voix en 2014 a cherché un arrangement avec les banques et le monde des affaires. Abandonnant ses engagements de campagne, elle a privilégié rigueur et austérité budgétaire. Ce faisant, elle a déstabilisé son camp, l´électorat populaire, ainsi que le PT, son parti d´origine, sans pour autant trouver à droite des appuis politiques et économiques. La Confédération nationale des industries (CNI), la Confédération de l´agriculture et de la pêche (CNA), la Fédération des industries et de l´économie de Saõ Paulo (FIESP), coupant court aux rumeurs d´augmentation des impôts, ont tout fait pour casser la majorité. Dans le même temps, les grands médias accompagnaient l´opération destitution. Par exemple, le 13 avril 2016, l´hebdomadaire Veja titrait sur fond de présidence en feu : « Dilma en liquidation ». Une semaine plus tard, son concurrent et complice Istoe assimilait les propos de la présidente à une propagande de terreur. De leurs côtés, les pentecôtistes et autres évangélistes, apôtres de la théologie de la prospérité et très présents dans les quartiers défavorisés, se sont joints à la curée.

Il ne reste ainsi plus que quelques semaines à Dilma Rousseff avant d’être dégagée. Après l´Argentine et le Venezuela, le Brésil est à son tour touché par un coup de grisou politique, doublement révélateur. Révélateur de l´incapacité du progressisme latino-américain des années 2000 à inventer un modèle pérenne, combinant croissance économique et avancées sociales. Révélateur enfin de la capacité du camp conservateur et libéral à jouer des institutions, des médias, et du néo-protestantisme pour provoquer des alternances sans recours aux armes.
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