ANALYSES

Un fonds de 2000 milliards de dollars pour construire une économie post-pétrole : l’Arabie Saoudite peut-elle espérer réussir son pari après avoir délibérément créé un système hors sol ?

Presse
7 avril 2016
Interview de Thierry Coville - Atlantico
Le prince Mohammed bin Salman vient de présenter son plan de réforme de l’économie de son pays : avec la revente de Aramco prévue en 2018, le pays compte investir 2000 milliards d’euros. Étant donné la conjoncture actuelle en matière d’hydrocarbures, cette sortie de la monoéconomie est-elle optimale ?

C’est toujours une bonne idée pour un gouvernement d’une économie pétrolière de lancer des réformes visant à diminuer sa dépendance par rapport à cette ressource.

Le risque toutefois de lancer ces réformes quand les prix du pétrole sont très bas comme aujourd’hui est que ces efforts deviennent moins soutenus une fois que les prix remontent ….

Dans deux ans, l’Arabie Saoudite dit pouvoir racheter Google, Apple, Microsoft et Berkshire Hattaway. Peut-on envisager une occidentalisation aussi radicale de l’économie saoudienne ? Le wahhabisme est-il compatible avec une telle métamorphose économique ? La nouvelle génération de diplômés en étude coranique peut-elle mener à bien cette réforme ?

Les universités saoudiennes forment des jeunes dans différentes disciplines en sciences sociales ou scientifiques. Je pense que le problème n’est pas uniquement là. C’est une politique classique dans les économies pétrolières ou gazières de constituer des fonds souverains avec leurs surplus de revenus. Jusqu’à présent, l’Arabie saoudite réinvestissait cet argent sur les marchés financiers américains en bons du Trésor. Là, l’objectif devient de prendre des participations dans différentes sociétés multinationales afin de préparer la diversification de l’économie. Cela ressemble à la stratégie du Qatar. Déjà, un problème est que ce type de stratégie va conduire à des exigences de transparence de la part des marchés financiers internationaux vis-à-vis de l’Arabie saoudite. Or, jusqu’à présent, l’environnement économique saoudien était très peu transparent. Mais le problème principal est qu’une telle stratégie ne suffit pas vraiment pour diminuer la dépendance pétrolière. Racheter des entreprises étrangères ne va pas permettre de créer tous les emplois nécessaires pour fournir du travail à tous les jeunes saoudiens. Il faut également développer un véritable système fiscal car pour l’instant les revenus pétroliers constituent l’essentiel des recettes budgétaires. Or construire un véritable système fiscal impose, on le sait, des nouveaux équilibres politiques entre les autorités et la population. On paie plus facilement des impôts quand on a confiance dans la manière dont les institutions publiques vont utiliser cet argent … Il ne suffit pas de racheter des entreprises étrangères. Il faut également développer un appareil productif qui soit capable d’exporter autre chose que du pétrole. cela implique également de développer un véritable secteur privé qui ne soit plus rentier mais qui devienne relativement indépendant par rapport au pouvoir politique. Là encore, développer un véritable secteur privé doit conduire à des évolutions de l’environnement politique.

Si une telle opération réussissait, quelle serait la nouvelle place de l’Arabie Saoudite ? Peut-on croire à une telle révolution économique quand les exemples de tentatives précédentes de sortie d’une dépendance économique énergétique semblent s’être soldées par de relatifs échecs, selon un rapport du FMI de 2014 ? L’économie actuelle ne repose-t-elle pas trop sur les travailleurs étrangers ?

Comme je viens de vous le dire, il s’agit pour l’instant d’une annonce. Obtenir une véritable diversification de l’économie saoudienne implique de nombreuses réformes profondes et qui ont des implications politiques. Effectivement, un des premiers problèmes pour l’économie saoudienne est de former des jeunes diplômés qui auront les compétences nécessaires pour accompagner cette diversification de l’économie. On en est loin puisque le système éducatif ne forme pas assez de cadres gestionnaires et que de nombreux étrangers occupent des postes de direction dans les entreprises. Par ailleurs, il faut bien se rendre compte que le développement d’un véritable secteur privé compétitif et autonome par rapport au pouvoir est une entreprise de longue haleine qui aura en outre des conséquences politiques évidentes. Est-ce que le pouvoir saoudien est prêt à prendre ce risque ? Le fameux modèle chinois, c’est-à-dire l’alliance entre une économie de marché et une dictature n’est pas transposable partout dans le monde. Il n’est déjà pas facile à mettre en place en Chine même …
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