ANALYSES

Le Brésil à l’heure des règlements de compte

Presse
7 avril 2016
Le Brésil est en ces premiers mois de 2016 tourneboulé. La présidente, Dilma Rousseff, son prédécesseur Luiz Inacio Lula da Silva, sont les personnages d’une telenovela (un feuilleton) des plus réalistes. Le scénariste, en robe noire, est le petit juge d’un Etat périphérique, le Parana. Il s’appelle, Sergio Moro. Dans un jeu de loi impitoyable, « le juge » essaie d’envoyer dans la case prison, l’un ou l’autre. Qui jusqu’à présent ont réussi à sauter la case fatidique. Chaque jour apporte son lot de rebondissement dans une série qui pourrait s’appeler « Brasilia » (capitale du pays, siège des institutions). Mais qui porte le nom plus trivial et mystérieux de « Lava Jato », laverie automatique (de véhicules).

Descentes de police, manifestations de rue, spectaculaires emprisonnements de figures de la politique et de l’entreprise, rupture de la majorité de gouvernement, appels à la dictature militaire, le tout amplifié par les titrailles en lettres grasses des quotidiens et les directs télévisés, rythment le quotidien des Brésiliens. Les uns sont pour, les autres sont contre. Tous avec la même passion contestent, critiquent, au nom de vérité et justice. Chacun exige une remise à plat du pays. Le Brésil vit à l’heure des règlements de compte. Mais de quels comptes s’agit-il? Sont-ils politique ? Judiciaire? Sonnant et trébuchant?

Le Brésil est en crise. Non seulement il n’avance plus, mais il régresse. La croissance est en effet négative depuis près de deux ans. Avec tout ce que cela suppose. Moins d’emplois, plus de chômage, et de grosses difficultés budgétaires pour l’Etat. Finies les années de progression de 4 à 7,5%. Cette soupe à la grimace passe mal. Les plus pauvres ont réélu en 2014 Dilma Rousseff, la candidate du parti des travailleurs, pour relancer la redistribution sociale. Les classes moyennes ont voté pour l’opposant de centre droit, Aecio Neves, (PSDB), pour éviter d’avoir à payer les pots cassés de la croissance. Les uns et les autres ont au moins un point commun. Tous, sous l’effet de la crise, critiquent la présidente.

Les plus pauvres, qui souffrent du retournement de conjoncture, ne comprennent pas le choix de la rigueur fait par la présidente et son ministre de l’économie en janvier 2015. Après avoir voté Dilma Rousseff en octobre 2014, ils ont pris une distance critique et boudeuse. Tout comme d’ailleurs le PT qui n’a pas ménagé ses remontrances tout au long de l’année 2015. Au point de contraindre la présidente à changer de ministre de l’économie, puis d’appeler Lula au gouvernement, en mars 2016, afin d’essayer de recoller la confiance perdue avec son électorat.

Les classes moyennes ont vu les excédents fiscaux des années de vache grasse canalisés vers les plus pauvres. La croissance leur apportait des retombées, aujourd’hui disparues. Elles refusent de solder la conjoncture. Elles avaient protesté contre les facilités données aux plus pauvres d’accéder à l’université (avec la création de quotas) et à la santé (avec le recrutement de 10.000 médecins cubains). Elles ont mal vécu les droits sociaux accordés aux six millions d’employés de maison, pour la plupart non déclarés jusque-là. En 2013 elles avaient pris la rue des grandes métropoles pour exiger des compensations collectives (de meilleurs transports publics) à la baisse de leurs revenus.

La crise s’est approfondie. L’ardeur combative des classes moyennes a été aiguisée par le sentiment qu’en haut, ceux qui sont au pouvoir s’en mettent plein les poches. L’heure serait donc aux règlements de compte. Le petit juge, Sergio Moro, qui avait choisi comme sujet de thèse, l’action anti-corruption de juges italiens, dite Mani Pulite, a saisi les opportunités de la justice de son pays qui offre une remise de peine aux suspects qui dénoncent leurs complices. L’heure des règlements de compte avait donc apparemment sonné pour le parti au pouvoir, le PT, dès les lendemains de l’élection présidentielle.

De dénonciations en dénonciations, une chaine allant du pétrolier Petrobras, (la Total brésilienne) passant par diverses entreprises sous-traitantes, pour aboutir au PT, mettait en évidence des détournements d’argent au profit du parti au pouvoir. L’opération Lava Jato lancée en 2014 a fait tomber plusieurs têtes politiques, le porte-parole du PT au Sénat notamment, mais aussi le PDG de la principale société de travaux publics, Odebrecht, condamné à une peine de 19 années de prison. Très vite une deuxième action visant à nettoyer les écuries brésiliennes était lancée. Au parlement celle-là. Le 2 décembre 2015 le Congrès des députés votait la constitution d’une commission chargée d’engager la destitution de la présidente qui aurait maquillé les comptes 2014 de l’Etat, année électorale.

Le PT sommé d’apurer et régler ses comptes avec la Maison Brésil, a rejeté le final du feuilleton proposé par le scénariste Sergio Moro. S’il est d’accord avec l’intitulé de la série, « Règlement de compte », pour lui il ne s’agit pas d’un règlement de compte éthique, mais d’un règlement de compte politique. En d’autres termes l’opération en cours aurait pour objet d’écourter le mandat de la présidente élue. Il s’agirait donc d’un coup d’Etat, en douceur, couvert par la justice, un grand groupe médiatique et un changement de majorité parlementaire.

La thèse mérite examen. D’autant plus que le porte-parole de la commission des droits de l’homme des Nations unies, Rupert Colville, a signalé sa préoccupation. « Les conquêtes démocratiques des derniers 20 ans sont en danger ». La Cepalc (Commission économique des nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes) a également fait part de sa préoccupation.

« Transparence Internationale » a signalé que 303 députés brésiliens étaient sous le coup de poursuites pour corruption. Or seules jusqu’ici les poursuites concernant les membres du PT ont fait l’objet d’un suivi approfondi. Le Président de la Chambre Eduardo Cunha, membre du PMDB, fait l’objet d’une demande d’enquête auprès du Conseil d’éthique du Congrès. Il serait détenteur de comptes cachés en Suisse. Le Comité d’éthique n’a pourtant rien décidé. Le vice-président de la République, Michel Temer, membre du PMDB, dont le nom a été cité par plusieurs délateurs, a le 29 mars 2016 demandé aux ministres PMDB de quitter le gouvernement. Lui-même s’est refusé à suivre cette injonction. La destitution de la présidente lui permettrait en effet d’exercer la magistrature suprême jusqu’en 2018.

Le juge Sergio Moro a ciblé son enquête sur un personnage marginal, si l’on s’en tient à la gravité des faits, mais central politiquement, Lula. Non convoqué par la justice, Lula a été tiré manu militari de son domicile à 6h du matin, le tout étant très vite relayé par la presse du groupe Globo et l’hebdomadaire Veja. Après la nomination de l’ex-chef de l’Etat comme ministre de la maison civile, le juge a fait diffuser le jour même dans les medias, une conversation téléphonique entre Lula et la présidente. Cette écoute du chef de l’Etat, a été ultérieurement sanctionnée par la Cour suprême qui a demandé un rapatriement du dossier. Le juge s’est excusé auprès de la Cour. Mais les retombées médiatiques de l’interception sont bel et bien là.

Le Brésil vit bel et bien en ce début d’avril 2016 à l’heure d’un règlement de compte, qui n’a pas encore dit son dernier mot. Sera-t-il in fine, judiciaire, ou sera-t-il politique?
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Les députés du PT sont au total 70 sur 513 congressistes
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