ANALYSES

Attentats : « Peut-être serons-nous un jour amenés à négocier avec eux »

Presse
23 mars 2016
Considérez-vous que cette attaque peut constituer une riposte à l’arrestation de Salah Abdeslam ?
Il faut se poser la question du statut d’Abdeslam dans l’État Islamique, dans la mesure où il s’est dégonflé, où il a refusé d’être un martyr. À leurs yeux c’est un lâche, apparemment il pleurait dans la voiture, et donc un certain nombre de ses anciens compagnons le méprisent. Donc, il faudra savoir ceux qui soutenaient encore Abdeslam. Dans tous les cas, il était trop occupé à sauver sa peau pour organiser cela et il n’a pas pu le faire depuis le fond de sa cellule. C’est une hypothèse, mais je pense qu’il devait y avoir un groupe, par forcément directement lié à Abdeslam d’ailleurs, qui avait « un plat au four » comme on dit, et qui a profité des circonstances, avec opportunisme, pour exécuter le plan qu’il préparait.

Doit-on comprendre qu’à chaque interpellation importante ou à chaque offensive sur les sols syrien ou irakien, nous aurons à subir en Europe une riposte ?
C’est leur rêve, et c’est leur logique puisque dans leur esprit lorsqu’ils nous frappent ils ne font que nous punir de ce que nous faisons. Les tueurs du Bataclan hurlaient que c’était pour les bombardements en Syrie. Ce qui est sûr c’est qu’ils montent en puissance, au vu de la fréquence de leurs actions.

On a l’impression que malgré les lois, les renforcements d’effectifs des forces de l’ordre et du Renseignement, les plans Vigipirate, rien n’y fait : ils frappent quand ils veulent, où ils veulent…
C’est le slogan de tous les groupes terroristes. Effectivement, il y a actuellement un impact psychologique sur la population qui se dit : « On restreint nos libertés, on nous met 10 000 soldats dans la rue en France, et eux continuent à monter en puissance ». Le problème c’est qu’ils ont toujours du personnel en réserve et ils parviennent à imposer cet effet de découragement en montrant qu’ils peuvent nous humilier quand ils veulent. D’autant que cette fois, les autorités s’étaient réjouies un peu vite de l’arrestation d’Abdeslam…

Ces terroristes-là sont-ils les mieux équipés, les mieux organisés et les plus fanatisés que l’on ait connus ?
Par leur nombre, par le nombre d’actions et de morts qu’ils ont faits – mis à part l’attentat d’Al Qaeda le 11-Septembre dont on parlera toujours dans 200 ans -, par le nombre de pays où ils peuvent frapper, simultanément parfois comme on l’a vu à Bruxelles et Paris, les terroristes de l’EI sont totalement redoutables. Certes, à la fin du XIXe siècle, les socialistes révolutionnaires russes faisaient un nombre invraisemblable d’attentats, mais il me semble que l’État Islamique est en train de battre tous les records, si l’on peut dire, donc oui je ne vois pas pire qu’eux jusqu’à présent.

Quel est leur but ultime au final ? Simplement qu’on les laisse libres de construire leur État ?
C’est une de leurs revendications oui. D’ailleurs, c’est horrible à dire, mais peut-être qu’un jour, on sera amené à négocier avec eux, et donc à leur laisser un territoire. On les bombarde depuis deux ans sur un bout de désert et ils tiennent le coup, c’est un peu énervant. On en viendra à bout un jour, on ne peut quand même pas imaginer que l’Europe, les États-Unis, la Russie soient battus par 60 000 bonshommes. Mais ça sera long parce qu’on n’arrive même pas à les décourager moralement et spirituellement.

Pourquoi et comment la Belgique est-elle devenue ce terreau de djihadistes et une cible en même temps ?
On a probablement laissé s’installer des « djihadistans » comme on dit. On lit beaucoup d’ailleurs que le maire de Molenbeek a acheté la paix sociale en n’allant pas trop regarder ce qu’il se passait. La Belgique est un carrefour, on entre et on sort comme on veut. Bruxelles est extraordinairement cosmopolite, il y a beaucoup plus d’étrangers que de Belges, et puis c’est le symbole de l’Europe. Je crois que ces groupes se constituent par affinités, des bandes de frères et de copains, petits délinquants, qui vont ensemble dans le djihadisme et ces endroits, comme Molenbeek, sont un terreau parfait.

Qu’a-t-on raté pour que cet État Islamique prenne autant de poids ?
On a raté notre politique en Syrie, notre intervention pour répandre la démocratie, alors que ça n’était pas à nous de faire le job. Il aurait fallu une coalition de pays arabes. Bachar el-Assad est un horrible tyran mais il avait l’avantage d’exister sans vouloir placer des bombes à Paris. On aurait peut-être dû jouer la carte chiite. En tout cas, partir drapeau en tête avec des proclamations en tablant sur une opposition démocratique à Bachar censée tout résoudre, c’est une grave erreur politique. Mais on a aussi raté la République en France, à faire un corpus de valeurs ou à proposer des idéaux qui puissent convaincre quelques milliers de nos compatriotes de ne pas détester la France. Elle est longue la liste de nos erreurs.

Une intervention au sol en Syrie est-elle une solution ?
Si on met les moyens, techniquement on peut évidemment vaincre une armée de 60 000 hommes. Le problème n’est pas le combat, c’est de savoir si on est prêt à accepter les conséquences avec des ripostes et une certaine tension avec la population musulmane chez nous. Il y aurait un prix à payer.

Faut-il alors rétablir les frontières des pays européens ?
Il est évident que pour contrôler un territoire il faut contrôler ses frontières.

Mehdi Nemmouche, l’auteur de la tuerie du musée juif de Bruxelles, avait été arrêté à Marseille où il avait de potentiels complices. Pensez-vous que Marseille pourrait faire partie des villes ciblées à l’avenir ?
Marseille malheureusement a le bon profil pour ça. Une population mélangée, une ville symbolique du vivre ensemble, donc, oui, frapper Marseille n’est pas inimaginable. Il semble qu’il serait possible pour certains de se fondre ou de recruter dans les populations musulmanes locales même si certains terroristes sont des convertis ou d’autres origines. Il n’est évidemment pas trop difficile de se procurer des armes à Marseille au vu de sa criminalité. Ça serait à mon sens une cible molle, un endroit où l’opération ne serait probablement pas très difficile à monter. On avait d’ailleurs vu dans certains des projets islamiques qu’ils ne comptaient pas seulement attaquer des capitales…

Propos recueillis par Romain Capdepon pour La Provence
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