ANALYSES

Identité et sécurité versus égalité

Presse
16 mars 2016
La volonté de constitutionnaliser la déchéance de la nationalité symbolise l’émergence d’une « République identitaire »*, dans laquelle la lutte contre les inégalités et les discriminations est marginalisée au profit des problématiques sécuritaire et identitaire.

La menace terroriste qui continue de planer sur nous risque in fine de saper les fondements du Nous. Ce spectre est symbolisé par la volonté même d’inscrire dans notre propre Loi fondamentale la possibilité de la déchéance de nationalité pour les binationaux – plus ou moins explicitement visés – convaincus d’actes de terrorisme. Un tel projet traduit la tentation de céder à la peur et la quête de sa propre identité-sécurité via la poursuite d’un ennemi intime.

En amalgamant protection de la nation et déchéance de la nationalité, un lien tacite est noué entre « binational » et « terroriste », entre protection de la nation et exclusion de la nation. Pis, constitutionnaliser la possible déchéance de nationalité pour les binationaux serait en soi une victoire stratégique pour les terroristes djihadistes comme pour l’idéologie de l’extrême droite, dont les acteurs s’avèrent être de véritables alliés objectifs.

En outre, si le projet de déchéance de nationalité n’affecte pas forcément le principe d’égalité devant la loi, il symbolise la dérive par laquelle nombre d’initiatives et de politiques publiques – y compris la lutte contre l’immigration et l’insécurité – sont pensées ou du moins menées avec la prise en considération de l’apparence et/ou de l’identité présumée des individus. Ainsi, en août 2015, au lendemain de l’attentat avorté dans le Thalys, le ministre des Transports Alain Vidalies avait défendu des contrôles au faciès, en expliquant préférer « qu’on discrimine pour être efficace ». En octobre 2015, l’Etat a décidé de se pourvoir en cassation contre la décision de justice de la cour d’appel de Paris qui a condamné les contrôles « au faciès » c’est-à-dire réalisés « en tenant compte de l’apparence physique et de l’appartenance, vraie ou supposée à une ethnie ou une race ». Dans le mémo d’un agent judiciaire de l’Etat que vient de révéler Médiapart, il apparaît bel et bien que les Noirs et les Arabes représenteraient «la seule population dont il [apparaît] qu’elle [peut] être étrangère »… La nationalité française serait liée à une apparence particulière, un postulat fondamentalement contraire à l’universalisme républicain dont se revendiquent pourtant les tenants d’une telle politique.

Non seulement le sécuritaire et l’identitaire vont de pair, mais ils ont tendance à neutraliser les politiques en faveur de l’égalité. Faute de résultats de l’action publique dans la bataille pour l’emploi et la relance de la croissance, les partis politiques cèdent à la tentation de politiser la question de l’islam et d’identitariser la crise économique et sociale. La lutte contre les inégalités et les discriminations est manifestement délaissée au profit des problématiques sécuritaire et identitaire. Si les traditionnelles identités et solidarités de classe – encore partiellement pertinentes – ont été érodées, on assiste à un glissement de la lecture sociale (par classe) à une représentation identitaire (par groupe) de la société. Si les valeurs de la République prennent des accents patriotiques de plus en plus prononcés, cette montée de l’identitarisme s’accompagne de pratiques communautaristes-clientélistes qui mettent en lumière le caractère équivoque si ce n’est hypocrite du discours dit républicain des uns et des autres.

Si le progressisme n’exclut pas la question de l’identité, son approche doit pendre la forme de « politiques d’égalité ». Si la tendance est de mettre en exergue l’insécurité identitaire aux dépens de l’insécurité sociale, les deux sentiments sont intimement liés. Le raidissement identitaire est le symptôme d’une crise du lien social causée par l’affaiblissement des institutions de socialisation (famille, école, partis, syndicats), la persistance d’un chômage de masse, la précarisation et l’appauvrissement de la jeunesse, le déclassement de la classe moyenne, le sentiment altéré de solidarité de classe au sein des couches populaires. La justice sociale, telle est le socle de la République.

* Béligh NABLI, La République identitaire, préface de Michel Wierviorka, éd. Le Cerf, mars 2016.
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