ANALYSES

Jusqu’où le scandale Petrobras déstabilisera-t-il le Brésil ?

Interview
8 mars 2016
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Quelle est l’ampleur du scandale Petrobras et que révèle-t-il sur une partie de la classe politique brésilienne ? Comment se manifeste le débat interne vis-à-vis de l’interpellation de l’ex-président Lula ?
Le scandale Petrobras est particulièrement déstabilisateur, non seulement pour la vie politique brésilienne, mais également pour les activités économiques du pays. Un certain nombre de responsables politiques, d’assez haut niveau, sont actuellement mis en examen. Cela va du président du groupe parlementaire du Parti des travailleurs (PT) au Sénat au président du congrès membre du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) en passant par des chefs d’entreprises, notamment de la plus grande entreprise brésilienne de travaux publics Odebrecht, actuellement sous les verrous. D’après les observateurs de la vie brésilienne, cette déstabilisation globale de la vie politique a, au-delà des conséquences politiques, des effets sur la conjoncture économique du Brésil.
En ce qui concerne l’interpellation de l’ex-président Lula, il s’agit d’une question complexe. L’ancien président du Brésil a effectivement été convoqué par la justice pour répondre à des questions concernant son éventuelle implication dans le scandale. Cet épisode engendre en quelque sorte un scandale à l’intérieur du scandale. Il n’a pas été convoqué par les voies traditionnelles mais a été emmené par la police fédérale comme un malfaiteur, de façon extrêmement brutale et médiatisée. Les conditions de cette arrestation, qui semble par son côté spectaculaire démontrer qu’il n’y a pas de fumée sans feu, tendant à montrer qu’il est donc coupable avant d’avoir répondu aux questions qui lui sont posées par la justice, laissent suggérer une intentionnalité politique. C’est en tout cas ce qu’avance le PT, qui dénonce une complicité des grands médias brésiliens et de la justice avec les forces politiques qui sont opposées au gouvernement actuel et au PT.

Cet épisode fragilise-t-il davantage Dilma Roussef et son gouvernement ? Plus largement, quel sera l’impact politique et économique de ce scandale ?
Le gouvernement brésilien est paralysé par la situation en cours. Toutefois, on ne peut pas dire que la décision concernant Lula vise directement Dilma Roussef. S’il y a une intentionnalité politique, elle va bien au-delà. Cette décision très particulière de la justice brésilienne à l’égard de l’ancien président Lula peut avoir cette intention cachée et la conséquence, non pas de déstabiliser le gouvernement actuel de la présidence de Dilma Roussef en situation de paralysie politique et économique depuis plusieurs mois, mais d’empêcher la possibilité pour le PT de présenter la candidature de Lula aux élections présidentielles de 2018. L’arrestation de Lula a été un électrochoc pour le PT qui désormais se mobilise, dénonce la pratique des grands groupes et des médias brésiliens qui annoncent la fin du PT, et va probablement précipiter l’annonce d’une candidature de l’ex-président pour les présidentielles de 2018.
En ce qui concerne les conséquences économiques, cela ne va pas arranger les affaires du Brésil en général. La situation que connaît le pays n’est pas bonne, à l’image du contexte de crise de l’ensemble des pays latino-américains. Le modèle qu’avait suivi l’Amérique latine ces dernières années, consistant à bénéficier des rentes provoquées par la demande chinoise en produits primaires, est arrivé à son terme avec le repli économique de la Chine. A l’instar de ses voisins, le Brésil est touché mais a connu une décélération de sa croissance plus importante qu’au Chili, en Colombie ou au Mexique. La crise politique vient aggraver la situation économique, du fait également d’une crise de confiance : les responsables d’entreprises ont peur d’être touchés par le scandale et n’investissent plus.

Quelle est aujourd’hui la situation générale du Brésil ? Comme certains l’affirment, l’actuelle récession découle-t-elle finalement plus de facteurs politiques qu’économiques ?
Le climat économique général n’est pas favorable à la reprise de la consommation intérieure et aux investissements. Cela s’explique notamment par le manque de confiance dans l’avenir et la méfiance des investisseurs étrangers. Par exemple, le marché de l’automobile a perdu 25% de son activité entre 2014 et 2015, véritable reflet de cette morosité qui va probablement se prolonger jusqu’aux prochaines élections présidentielles.
Il est difficile de faire la part des choses. Le modèle privilégié pendant la période de vaches grasses grâce aux importations asiatiques – et chinoises en particulier – est achevée. Le Brésil n’a pas utilisé cette période pour changer de modèle économique en essayant notamment de créer des filières à forte valeur ajoutée permettant de compenser le prévisible retournement de conjoncture en Chine en ce qui concerne la demande en produits primaires. Il s’agit d’un élément structurel difficile à changer à court et moyen terme ; le Brésil va encore souffrir pendant une période relativement longue.
Il y a par ailleurs des éléments propres à la vie économique brésilienne comme la gestion des scandales par la justice. On peut noter comme exemple la façon dont ont été attribués des grands contrats dans le passé. Le problème est que les juges ont non seulement mis en examen des responsables politiques de très haut niveau, ce qui paralyse l’action de l’Etat, mais aussi des responsables de grandes entreprises, ce qui a pour effet de bloquer la politique à moyen et long terme des grandes entreprises brésiliennes qui ont été pendant plusieurs années le moteur de la croissance économique. La situation est extrêmement grise.
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