ANALYSES

Pour un Sommet méditerranéen

Presse
7 mars 2016
Si du point de vue géopolitique, la crise migratoire revêt une dimension mondiale -qui nécessiterait donc un sommet international-, elle est d’abord une crise euro-méditerranéenne dont les sources sont de nature structurelle et conjoncturelle. Elle ne saurait donc être résolue lors du simple sommet entre l’Europe et la Turquie. Si cette dernière joue un rôle crucial dans l’afflux de réfugiés dans l’espace Schengen, l’étendue des acteurs concernés devraient susciter la tenue d’un Sommet ouvert à l’ensemble des Etats européens et méditerranéens. Si l’Union pour la Méditerranée (UPM) créée en juillet 2008 offre un cadre institutionnel idoine pour un tel Sommet, cette organisation s’avère être une coquille vide sur le plan du volontarisme politique et incapable de relever les défis stratégiques régionaux actuels. Plus que jamais, l’échec ou du moins la défaillance de l’UPM se fait cruellement sentir…

Située au carrefour de trois continents, la Méditerranée est un traditionnel espace d’échanges et de migrations. Si l’axe méditerranéen représente l’une des grandes lignes de failles économique, sociale et démographique dans notre monde globalisé, le phénomène migratoire s’inscrit désormais dans un contexte d’insécurité et d’instabilité croissantes sur les rives sud et est de la Méditerranée (dans les espaces sub-saharien, maghrébin et du Levant). La conjugaison du désordre politique et des conflits armés nourrit un flux de demandeurs d’asile en direction d’un espace stable et en paix: l’Europe.

Déjà fragilisée par des crises politique, économique et financière à répétition, la construction européenne est saisie par une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Les flux migratoires clandestins mêlent migrants économiques et nombre de réfugiés politiques en quête d’asile après avoir fuis la guerre en Syrie, la répression en Érythrée et la violence persistante en Afghanistan, en Somalie, au Nigeria, en Irak et au Soudan. Les migrants viennent essentiellement de Syrie, où la guerre depuis la mi-mars 2011 a fait plus de 270.000 morts et a contraint près de 5 millions de personnes à fuir leur pays.

Si la crise humanitaire est liée au conflit syrien, son dénouement est loin de se dessiner. Le cessez-le-feu est plus fictif que réel, les négociations diplomatiques progressent péniblement. Alors que la Turquie et le Liban sont les principales terres d’asile des réfugiés syriens, l’Europe n’est pas à la hauteur de l’Histoire. Certes l’UE s’est engagée à délivrer une aide humanitaire de 700 millions d’euros pour soutenir ses Etats membres en première ligne face à l’afflux massif de migrants. Reste que l’Union européenne demeure prisonnière de la loi (étatique) du chacun pour soi qui enfonce un peu plus la construction européenne dans ses impasses et contradictions intrinsèques.

Selon William Spindler, porte-parole du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) « Les ressources [pour gérer le nombre de migrants] ne manquent pas en Europe, ce qu’il manque c’est la volonté politique » (RT). Or celle-ci n’existe pas de fait, elle demeure introuvable… au moment même où elle est commandée autant par l’éthique de responsabilité que par un impératif de nécessité. L’espace de libre circulation Schengen relève de la fiction. Tandis que les Etats multiplient les mesures restrictives, dissuasives et répressives contre les réfugiés-migrants, les Européens semblent se cramponner à la vieille chimère d’une Europe forteresse. Le plan de relocalisation de réfugiés dans les pays de l’UE adopté à l’automne 2015 ne saurait faire illusion.

Après l’Autriche, premier Etat européen à avoir imposé des quotas, la Croatie, la Slovénie, membres de l’UE, ainsi que la Macédoine et la Serbie ont décidé de limiter le nombre de migrants autorisés sur leurs territoires. Dans le nord de la France, à Calais, des centaines de migrants souhaitant rejoindre le Royaume-Uni se trouvent bloqués entre 3.700 et 7.000 Syriens, Afghans et Soudanais.

Sur toute l’année 2015, plus d’un million de migrants et de réfugiés étaient entrés en Europe, l’Allemagne en ayant accueilli l’immense majorité. Selon le HCR, plus de 131.000 migrants sont arrivés en Europe par la Méditerranée depuis le début de la nouvelle année. Aujourd’hui, l’afflux se concentre sur la Grèce, véritable goulot d’étranglement au sein du cadre spatial de la crise migratoire: près de 100.000 migrants se trouvent bloqués en raison des restrictions imposées le long des frontières qui longent la « route des Balkans ».

Plus de 7000 migrants ont été stoppés à la frontière entre la Grèce et la Macédoine. Alors que les « murs frontaliers » continuent à s’ériger sur le territoire européen avec la volonté affichée de contrer la vague de réfugiés, la mer Méditerranée est devenue un « cimetière maritime » ou du moins la voie de communication la plus meurtrière du monde. L’an passé, plus de 3770 migrants et réfugiés sont morts en tentant de traverser la mer Méditerranée. Ce décompte macabre est vertigineux lorsqu’on le met en perspective: plus de 30.000 personnes ont péri depuis le début du XXIe siècle (selon le projet d’open data The Migrant Files). Les 2.510.000 kilomètres carrés de la mer reliant l’Afrique à l’Europe auraient concentré plus des trois quarts des disparitions de migrants.

Selon le HCR, « l’Europe est au bord d’une crise humanitaire qu’elle a largement provoquée elle-même ». Le jugement est sévère mais réaliste. L’arrivée continue de migrants en Europe via la Méditerranée et les drames humains qui l’accompagnent mettent en effet l’Union européenne et ses États membres face à leurs responsabilités, mais surtout face à leurs propres défaillances. Le manque de solidarité intra-européenne en matière de protection internationale rend criante l’absence de réelle politique commune d’asile. L’Europe paie un double échec historique: l’intégration européenne et l’intégration méditerranéenne.

Les Européens demeurent par trop prisonniers des obsessions financières, sécuritaires et identitaires. Il n’empêche, le phénomène migratoire -qui est aussi une manifestation de la globalisation- interroge l’idée même de frontières nationales/méditerranéennes et commande une vision stratégique commune. En sus d’une participation plus active dans la résolution diplomatique du conflit syrien, il convient de s’engager dans un authentique projet d’intégration -une ambition à laquelle ne répond pas l’actuelle UPM- au sein d’un espace méditerranéen dont les peuples sont liés par une communauté de destin.
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