ANALYSES

Élections législatives et présidentielle en Ouganda : quels enjeux ?

Interview
18 février 2016
Le point de vue de Samuel Nguembock
15 millions d’électeurs sont appelés à voter ce jeudi pour des élections législatives et présidentielle. Dans quel contexte se déroulent-elles et quels sont les enjeux ?
Le processus électoral se déroule dans le calme, même si l’environnement politique demeure tendu. C’est une élection très attendue par bon nombre d’Ougandais. La particularité de cette élection est l’enjeu de la participation de nouveaux électeurs. Il faut rappeler qu’au cours de la dernière élection présidentielle en 2011, environ 8 millions d’électeurs participaient au processus électoral pour 59% de suffrages exprimés. Cette fois-ci, ce nombre a remarquablement augmenté et quasiment doublé au cours de ces cinq dernières années, avec 7 millions de nouveaux électeurs. On parle aujourd’hui de 15 millions de votants potentiels. Cet enjeu est d’autant plus important que la majorité présidentielle est inquiète, même si tous les sondages confirment la position de leader et la réélection presque acquise de Yoweri Museveni. Mais si l’on prend en compte ce nouvel électorat, il faut être prudent sur l’ensemble des éléments avancés en termes de perspectives et d’issue définitive au scrutin. Il faut par ailleurs relever qu’en termes de population, ce sont environ 80% de jeunes ougandais âgés de 30 ans qui participent à ce processus électoral et qui n’ont connu qu’un seul président tout au long de leur vie. Il y a un besoin de changement. Aussi, si le principal candidat de l’opposition, Kizza Besigye, a mené une campagne qui a suscité à la fois l’intérêt et l’adhésion de la population, nous pouvons attendre de voir comment les choses vont se prononcer.

Quel bilan dressez-vous des 30 années au pouvoir du président Yoweri Museveni, à la fois sur le plan interne et international ? Est-il bien positionné pour briguer un cinquième mandat ?
Le bilan de Yoweri Museveni à la tête de l’Etat ougandais est mitigé mais globalement positif, notamment si l’on prend en compte les réalités qui ont présidé à sa prise de pouvoir. Ce dernier est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat qui a permis de mettre fin à quinze années de guerre civile, parfois ponctuées par des violences interethniques et interconfessionnelles. Mais le fait d’avoir pris le pouvoir et stabilisé le pays n’a pas eu que des résultats positifs. Il a profité d’un environnement politique très troublé pour durcir le système politique ougandais et ainsi éliminer de potentiels concurrents, ce qui fait que pendant longtemps, il n’y a pas eu d’ouverture politique conséquente en Ouganda. Sur le plan politique, on peut également mettre à son crédit le multipartisme et l’arrêt des hostilités interethniques et des violences interconfessionnelles. En tout état de cause, on peut voir qu’il a réussi à créer un environnement politique beaucoup plus stable.
Sur le plan sécuritaire, il a mis hors d’état de nuire une quinzaine de rébellions et a réussi à établir un climat de paix dans l’ensemble de son pays. Sur le plan économique, il a mené une bataille considérable, notamment en termes de construction d’infrastructures et de modernisation, même s’il faut rappeler les déséquilibres et les inégalités territoriales qui restent très persistantes en Ouganda. Le Nord et le Nord-Est du pays restent très sous-développés par rapport aux autres régions comme celles du Centre et de l’Ouest notamment. Selon les études menées par l’Enquête nationale auprès des ménages, le taux de pauvreté est de 5% pour la région du Centre, 9% pour la région de l’Ouest, 25% pour l’Est et 44% pour le Nord. Cette étude réalisée en 2012-2013 montre très bien l’inégale répartition des bénéfices qu’on peut accorder à Yoweri Museveni au cours de son administration. Il faut toutefois lui accorder quelques circonstances atténuantes, notamment dans la partie Nord du pays qui a été pendant longtemps sous la gouvernance sécuritaire du rebelle sanguinaire Joseph Kony et de son mouvement, l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Museveni est arrivé à stabiliser ces différentes régions mais il va maintenant falloir reconstruire l’entièreté du pays et réduire ces inégalités territoriales.
Ainsi, sur le plan interne, à la fois au niveau politique, économique et sécuritaire, Museveni a apporté au pays des réformes et des avancées considérables.
Sur le plan international, le président dispose d’une habilité diplomatique et d’une ouverture vis-à-vis de l’extérieur. S’il est au départ de formation marxiste, il s’est rapidement ouvert au libéralisme économique et a attiré les bonnes grâces de la communauté internationale. Les Etats-Unis ont vu en lui sa capacité à mettre en œuvre les recommandations formulées par le Fond monétaire international et la Banque mondiale. La mise en œuvre des recommandations du FMI et de la Banque mondiale a permis à son pays de continuer de bénéficier, jusqu’au cours des dernières années, de l’aide internationale à hauteur de 50 % du budget national. Museveni est un fin diplomate et un fin stratège qui est capable à la fois d’assurer sa stabilité politique, exerçant une fermeté à l’intérieur du pays en accordant moins d’ouverture politique vis-à-vis de l’opposition ou de la société civile, et de répondre aux attentes de la communauté internationale, notamment sur les grandes réformes structurelles en matière économique. Il faut aussi reconnaître que Museveni a longtemps bénéficié des foyers de tension dans la région : le génocide du Rwanda, la guerre en République démocratique du Congo, le Soudan qui ont particulièrement attiré l’attention de la Communauté internationale et absorbé les efforts de cette dernière.
En plus de ce bilan, qui est soutenable malgré la brutalité du régime, Yoweri Museveni peut compter sur la longue expérience de son parti, le Mouvement de résistance nationale (NRM), le soutien que lui apporte l’appareil de l’Etat et les ressources financières que ses concurrents n’ont pas pour être réélu à la magistrature suprême.

Quels sont les principaux défis à relever pour le pays ? Dans quelle mesure les résultats de ces élections peuvent impacter la fragile situation régionale ?
Yoweri Museveni a engagé un processus de développement en termes d’infrastructures et de renforcement des capacités de l’Etat, mais il reste des défis majeurs à relever, notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation où un accent particulier devrait être mis. Les inégalités territoriales persistent entre le reste du pays et le Nord. Il va falloir, pour assurer l’équilibre et la cohésion nationale, renforcer le processus de développement dans ces régions afin de ne pas donner la possibilité aux ressortissants des localités d’avoir le sentiment d’être complètement à l’abandon.
On sait que l’environnement régional de l’Ouganda reste très instable au cours de ces dernières années. Le Soudan du Sud, qui partage les mêmes frontières avec l’Ouganda, n’est pas stabilisé et de très fortes violences armées subsistent au niveau de ces frontières. Le fait que la partie Nord et Nord-Est du pays soit sous-développée peut constituer un terreau favorable à des revendications sociales susceptibles de déboucher sur des actions armées, bénéficiant du soutien des groupes rebelles venant du Soudan du Sud. Les enjeux sont donc importants. Il faut réduire la pauvreté dans les zones rurales. En effet, si l’on parle d’avancées notables en matière de développement et d’indicateurs macroéconomiques en Ouganda, la pauvreté dans les zones rurales reste très importante et ces dernières sont très enclavées. Seules les régions du Centre, de l’ouest et les zones urbaines connaissent un développement fulgurant observable au cours de ces dernières années.
Sur le plan régional, il est nécessaire de revoir la diplomatie ougandaise. Si Yoweri Museveni se maintient au pouvoir, la diplomatie ougandaise ne pourra pas bouger les lignes fondatrices des questions sécuritaires dans la région, notamment au niveau du Burundi où la médiation du président ougandais a échoué, ce dernier n’étant pas accepté par les parties en conflit. Il n’a en effet pas le profil correspondant pour assurer la médiation au Burundi, lui-même s’accrochant au pouvoir, à l’instar de Pierre Nkurunziza, le président burundais. Museveni a été formé à la guérilla par des professionnels de l’insurrection au Mozambique, notamment les bras séculiers du Front de libération du Mozambique. Il a réussi à mettre hors d’état de nuire des régimes sanguinaires comme celui d’Idi Amin Dada ou de Milton Obote. Il a le profil d’un ancien chef de guerre et ne dispose pas de légitimité politique nécessaire pour peser dans les médiations notamment face à d’autres acteurs politiques de la région souhaitant se maintenir au pouvoir en violation des principes constitutionnels ou des accords de paix.
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