ANALYSES

Le Sahel, victime du réchauffement climatique : cette région a besoin d’un plan Marshall

Presse
31 janvier 2016
Les experts sont unanimes : le réchauffement climatique va toucher en premier les populations les plus pauvres et les plus fragiles. Les régions déjà en proie à des sécheresses périodiques vont également connaître une pluviométrie de plus en plus instable.

Cette instabilité va tout particulièrement concerner le bassin méditerranéen ainsi que le Sahel. Peut être faut-il s’arrêter sur cette dernière région.

Des conséquences inquiétantes au Sahel

Les deux degrés d’augmentation de la température déjà considérés inévitables au niveau mondial à échéance de la fin du siècle, vont se traduire au Sahel par deux degrés de hausse effective d’ici 20 ans et de trois à cinq degrés d’ici 2050.

Une telle hausse des températures provoquera une chute des rendements agricoles de l’ordre de 15% à 25% pour le mil et le sorgho et de l’ordre de 40% pour le maïs. Mais surtout, l’instabilité pluviométrique va provoquer l’échec périodique des campagnes agricoles, accroissant la dépendance vis-à-vis des importations et de l’aide alimentaire.

Les populations rurales doivent aussi s’attendre à une misère accrue et à des difficultés additionnelles pour intensifier leur agriculture, car comment acheter engrais et semences sélectionnées face à tant d’incertitudes ?

L’absence de transition démographique

La population de ces pays qui, pratiquement seuls au monde, n’ont pas engagé leur transition démographique, connaît une croissance exceptionnelle : elle double tous les 18 à 20 ans.

Le Niger, qui avait 3 millions d’habitants à l’indépendance, en aura au minimum 42 millions en 2035 et si rien ne change au niveau de la fécondité – pourquoi y aurait-il changement puisque cette fécondité est restée stable depuis 30 ans à environ 7,5 enfants par femme ? – il en aura 89 millions en 2050. Ceci dans un pays où seule 8% de la superficie est propice à l’agriculture.

Où sont les emplois ?

Dans ces zones rurales déjà en proie à la misère, où la moitié de la population n’a pas accès à l’eau potable, où seules deux familles sur 1.000 disposent de l’électricité, la propagande salafiste se développe.

Avec une agriculture en panne et l’absence de toute industrie dans ces pays enclavés, les jeunes ruraux ont le choix entre grossir la masse des abonnés aux petits boulots en ville, s’insérer dans les multiples trafics transsahariens (voitures volées, cigarettes, cocaïne provenant d’Amérique latine etc.) et s’engager dans le djihad où les salaires sont attractifs.

Si l’on additionne les chiffres du Niger et du Mali, ce sont environ 500.000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Où sont ces emplois ?

Des zones qui sombrent dans l’insécurité

L’Afrique globalement va certes beaucoup mieux qu’il y a 15 ans. Ses taux de croissance économique en attestent. Mais même dans les pays les plus riches, il subsiste des zones de misère qui sombrent dans l’insécurité, le cas typique étant la rébellion de Boko Haram qui aura fait en 2015 plus de 6.500 victimes au Nord du Nigéria.

Cette rébellion a des causes économiques profondes. La première est la surpopulation agricole et la dégradation environnementale d’un Nord Nigéria abandonné à lui-même.

Désormais combattue par une coalition régionale regroupant une armée nigériane reprise en main et des forces du Niger, du Tchad et du Cameroun avec un appui français, britannique et américain, cette rébellion va probablement changer de nature. Ses capacités conventionnelles défaites, elle va essaimer dans toute la sous région et passer à un conflit de type asymétrique et au terrorisme.

Une impasse budgétaire et sécuritaire

Elle bénéficie déjà d’un appui technique de Daesh tant pour sa propagande qu’au plan militaire. Or, ce type de conflit se comporte comme un cancer, envoyant des métastases qui se multiplient : circulation des armes et de la drogue, désorganisation de l’économie, migrations massives, enlèvement d’otages etc.

Face à ces menaces les pays du Sahel se trouvent contraints à réduire leurs dépenses de développement pour financer des dépenses urgentes de sécurité qui représentent désormais environ 4% de leur PIB. Mais ces dépenses de sécurité ne sont pas pour autant à la hauteur des défis auxquels ils sont confrontés.

Ces pays sont ainsi dans une impasse à la fois budgétaire et sécuritaire : en réduisant leurs dépenses de développement ils renoncent à alléger la misère qui pourtant nourrit l’insécurité. En fait, ces pays se heurtent à l’impossibilité pour des États au potentiel économique et donc fiscal très faible, de faire face à des menaces sécuritaires de grande ampleur.

Ces pays ont besoin d’un plan Marshall

On connaît les malheurs récents du Mali. Mais les pays voisins ne sont pas épargnés : le Tchad est menacé par les djihadistes basés en Libye, par des groupes armés venant du Soudan, par les milices de la Séléka venant de RCA et surtout par Boko Haram au Sud.

La situation du Niger est analogue : au Nord circulent des djihadistes basés en Libye. L’insécurité de la région de Kidal au Mali se déverse à l’Ouest ; à l’Est dans le désert du Djado des milices s’affrontent pour le contrôle de mines d’or.

Enfin, le principal souci est certainement Boko Haram au Sud. Les autorités de ces pays savent bien que le réchauffement climatique sera un accélérateur du drame malthusien qui les menace. Mais pour l’instant, ils ont d’autres priorités.

Face aux défis multiples auxquels ils sont confrontés, c’est d’un véritable plan Marshall dont ils ont besoin. Un plan à composante fondamentalement économique, même si le souci de sécurité est comme en 1947, la première préoccupation. Malheureusement, les composantes d’un tel plan ont été oubliées dans le fameux agenda des objectifs de développement durable.

Prendre en charge les dépenses de sécurité

En premier lieu, il va être indispensable de prendre en charge au moins partiellement mais pour une longue durée les dépenses de sécurité des pays sahéliens qui le demanderont, ceci pour éviter que la dégradation sécuritaire ne paralyse l’indispensable effort massif de développement qui s’impose.

Une telle prise en charge se justifie pour trois raisons :

1. Cela coûtera infiniment moins cher qu’une intervention militaire d’une toute autre ampleur que l’opération Barkhane actuellement conduite par l’armée française, intervention qui va sinon vite devenir inéluctable et nous conduirait à une impasse comme en Afghanistan ;

2. La sécurité de ces vastes régions constitue un bien public régional voire mondial et à ce titre justifie une prise en charge mutualisée ;

3. C’est la seule manière crédible d’assurer la sécurité de ces pays. Malheureusement les grandes agences internationales d’aide sont aux abonnés absents sur ces questions.

Investir dans le domaine agricole

En second lieu, des investissements massifs sont urgents dans le domaine agricole et celui de l’équipement rural pour enfin mettre en valeur le potentiel en matière de petite irrigation, restaurer la fertilité des sols par des aménagements fonciers, ouvrir des routes, assurer un approvisionnement général en eau potable, électrifier les campagnes maintenant que les technologies sont disponibles, relancer la recherche agronomique et surtout créer des emplois.

Mais il faut hélas rappeler que l’agriculture au niveau international mobilise moins de 8% de l’aide mondiale qui s’est depuis 30 ans désintéressée de ce sujet. Or il est effarant de constater que sur les 3,4 milliards d’euros promis par l’aide internationale au Mali, moins de 4% sont affectés au développement de l’agriculture et de l’élevage.

Enfin, sujet combien difficile, il faut absolument agir sur les évolutions démographiques par des programmes de planning familial comme ce fut le cas dans d’autres pays musulmans pauvres tel que le Bangladesh. Il sera sinon impossible à ces pays de sortir de la trappe à pauvreté dans laquelle ils sont coincés. Notons que ce sujet mobilise au plan mondial moins de 0,2% des flux d’aide et ne figure nulle part dans le plan de redressement du Mali.

Revoir nos priorités

Il est permis de se demander si l’aide internationale dont l’appui sera indispensable pour stabiliser cette région va un jour s’occuper des vraies priorités. En ce qui concerne l’aide française et les engagements pris par le président de la République, il est également permis d’être perplexe.

Dans les récents engagements français à la suite de la COP21, il est prévu d’accroître d’ici à 2020 de quatre milliards d’euros par an les concours financiers français de l’AFD à la lutte contre le changement climatique, ceci sous forme de prêts essentiellement destinés aux pays émergents.

Mais il n’est prévu d’augmenter que de 370 millions les dons aux pays pauvres comme les pays du Sahel. Sommes-nous bien certains que nos priorités sont les bonnes ?
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