ANALYSES

Iran : « La société civile veut des évolutions »

Presse
27 janvier 2016
L’Iran jugé hier «Etat terroriste» est devenu une pièce essentielle dans la lutte contre Daech. Par quel renversement de l’histoire ?
il faut rappeler justement le contexte historique, cette image date de l’Iran de Khomeiny qui, au début des années 80, veut exporter la révolution islamique partout dans la région. C’est ensuite, après la guerre avec l’Irak, au début des années 90, qu’un changement de la politique étrangère est intervenu avec une normalisation et une rationalisation du comportement de l’Etat. Avec l’élection de Rafsandjani en 1989, l’Iran recherche déjà de meilleures relations avec l’Europe. Le changement a donc été progressif…

Mais l’image d’un Iran belliqueux et peu fiable a perduré. Pourquoi ?
C’est vrai qu’il y a des visions différentes qui s’opposent en Iran entre modérés et radicaux. Si la volonté de reconstruire l’économie et normaliser la diplomatie était réelle, les relations très tendues avec les USA ont caché cette réalité, comme le discours radical et provocateur du président Ahmadinejad, du pain bénit pour ceux qui voulaient diaboliser l’Iran, un pays pourtant autrement complexe.. Il y a un problème de perception : l’Iran n’a attaqué personne depuis 200 ou 300 ans ! Ses interventions en Syrie et en Irak se sont faites défensivement.

Et la mue se poursuit avec l’émergence de l’Etat islamique sunnite…
L’Iran chiite lutte contre l’Etat islamique sunnite qui considère les chiites comme des hérétiques et qu’en les tuant, on va au paradis. En France, la diplomatie semble pourtant découvrir que l’Iran lutte contre l’EI. Or, notamment en Irak, l’Iran est intervenu sans attendre les Occidentaux e t c’est même la seule armée officielle qui sur le terrain lutte contre l’EI.

La levée des sanctions sur le nucléaire peut-elle encore accentuer le retour de l’Iran dans le concert des nations ?
Côté iranien, on est pour une politique étrangère classique, «les engagements constructifs» comme dit le président Rohani, avec des objectifs stratégiques pour s’installer en puissance régionale incontournable. L’Arabie saoudite est inquiète mais surtout de l’amélioration des relations entre l’Iran et les Etats-Unis. Sur le nucléaire, la question des Occidentaux est : peut-on avoir confiance ? Mais les Iraniens se posent la même réciproquement ! L’Iran sera le pays le plus contrôlé par l’AIEA.

Cette ouverture peut-elle avoir des répercussions internes pour plus de démocratie dans une République islamique encore verrouillée ?
Les gens qui croient que l’économie de marché apporte automatiquement a démocratie se trompent, regardez ce qui se passe en Chine. En Iran, il y a des élections contrairement à l’Arabie saoudite, la grande amie de la France. Mais pour l’élection à l’Assemblée des experts qui aura la responsabilité d’élire le nouveau Guide le moment venu, on voit bien que le conseil des gardiens filtre les candidats et empêche les modérés de se présenter. En revanche, Rohani qui tient un discours «centriste» a la confiance du Guide Ali Khamenei. Et la population qui l’a élu – elle vote aujourd’hui toujours pour le plus modéré – l’attend sur l’économie mais aussi sur les droits del’homme.

Justement, les droits de l’homme (et de la femme,) restent une question majeure selon le terrible dernier rapport d’Amnesty…
Rohani ne maîtrise pas le pouvoir judiciaire qui est contrôlé par les durs du régime. La charia est toujours en vigueur, il y a les cas de jeunes mineurs condamnés à mort. La peine de mort reste appliquée pour les trafiquants de drogue. Pour les divorces, un homme vaut toujours deux fois plus qu’une femme. Il y a donc un décalage très grand entre la formidable modernisation de la société civile, notamment liée au niveau de l’éducation, et des institutions héritées de la Révolution.

Propos recueillis par Daniel Hourquebie
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