ANALYSES

Va-t-on vers une restructuration du système politique espagnol ?

Interview
12 janvier 2016
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Les élections du 20 décembre 2015 ont laissé un Parlement espagnol très fragmenté. Comment analysez-vous la situation politique actuelle ? Est-ce un bouleversement sans précédent du système politique espagnol et quelle issue est envisageable ?
Il y a une apparence de rupture, créée par l’émergence de nouveaux partis politiques, Podemos et Ciudadanos. Mais le système politique reste ce qu’il est, qu’il s’agisse de la Constitution ou du système de partis, avec des formations de droite, de gauche, nationales espagnoles et nationalistes périphériques. Ce qui est nouveau, c’est la situation créée par le résultat de l’élection. Traditionnellement, il y avait à chaque élection un parti très majoritaire, donc il y avait soit l’alternance d’un parti à un autre, soit une continuité. Dans le cas de figure actuel, les électeurs ont dispersé leurs voix et le parlement s’est ainsi retrouvé très fragmenté. Il y a une nécessité pour les uns et pour les autres d’ouvrir un dialogue en vue de voir s’il est possible de constituer une majorité, ce qui s’avère extrêmement difficile compte tenu du résultat d’une part, et de l’absence d’autre part d’une culture de dialogue et de compromis pour composer des majorités entre des forces politiques différentes. Depuis le 20 décembre 2015, le jeu est ouvert. Les propositions sont sur la table, mais on ne voit pas très bien quelle pourrait être l’issue de ces éventuelles négociations avant l’ouverture des travaux parlementaires. Nous verrons le 13 janvier 2016 si, pour la composition du bureau du parlement, les députés arrivent à se mettre d’accord sur l’élection d’un président et ensuite d’un bureau représentatif de la diversité du congrès des députés.

Carles Puigdemont a été élu à la présidence de la Catalogne, qu’il promet de mener vers l’indépendance en 2017. Peut-il accélérer le processus de sécession ? Comment l’exécutif national répond-il à ce défi ?
Carles Puigdemont ne peut manifestement pas accélérer le processus de sécession car la Constitution ne le permet pas. Il paraît difficile d’aller vers une décision de ce type sans qu’il y ait une négociation avec le pouvoir central. À partir du moment où le président du parlement catalan, avec sa majorité, refuse ce type de dialogue, le gouvernement central à Madrid va saisir le tribunal constitutionnel qui va invalider toutes les décisions prises comme hors la loi, même s’il s’agit d’un hors la loi assumé par une partie de la collectivité nationale, celle des partis indépendantistes catalans, majoritaires dans leur assemblée. Ce cas de figure s’est déjà manifesté au Pays basque. Les initiateurs de ces décisions doivent donc savoir qu’ils ne pourront pas aller au bout de leur démarche, ce qui pose un certain nombre d’interrogations et de problèmes, d’autant plus qu’un rapport de force aurait pu être créé si les partisans de l’indépendance de la Catalogne disposaient d’une très large majorité, ce qui n’est pas le cas. Il faut rappeler qu’aux élections du mois de septembre 2015, le parlement catalan ayant été dissous cette dissolution avait été présentée comme étant à caractère plébiscitaire. Une majorité parlementaire, petite mais réelle, en était sortie pour les partis indépendantistes. En revanche, ces partis étaient loin du compte en termes de voix puisqu’ils n’avaient obtenu qu’un petit peu moins de 48% des votes exprimés, ce qui ne leur donne manifestement pas le poids et la légitimité suffisante pour aller au bout de leur démarche.

L’Espagne est l’un des pays les plus impactés par la crise économique en Europe. La situation est-elle en train de s’améliorer ?
La situation est en train de s’améliorer du point de vue macroéconomique. Il y a une reprise effective, avec des créations d’emplois, mais le trou dans lequel était tombée l’économie espagnole était si grand et les effets négatifs sur la population si importants que le redressement de la courbe de ces derniers mois n’est pas encore perçu par la majorité de la population, ce qui explique le vote sanction du 20 décembre 2015. Il s’agit en effet d’un vote de sanction. Le parti populaire est arrivé en tête, mais il a perdu 63 députés. L’interprétation qu’on doit donner au vote exprimé est donc sans équivoque. Les électeurs ont considéré qu’en dépit d’une reprise économique qui peut se lire statistiquement, ils n’en voient pas la couleur dans leur quotidien, y compris dans la création d’emploi. La diminution du chômage est due autant aux créations d’emplois qu’au retour des immigrés dans leur pays d’origine et à la reprise d’une immigration espagnole en direction des pays étrangers, ce qui fait nécessairement chuter le pourcentage des personnes en quête de travail.
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