ANALYSES

COP21 : dernière ligne droite

Tribune
11 décembre 2015
La COP21 en est aujourd’hui à son dernier jour officiel, délai qui sera repoussé à samedi midi, a annoncé Laurent Fabius ce matin. Le ministre des Affaires étrangères et président de la conférence a renoncé à tenir son pari et à présenter un texte dès vendredi pour adoption à 18h. Les négociations ont avancé, le texte s’est réduit, il compte désormais 27 pages mais contient encore suffisamment d’options (une cinquantaine qui selon les choix, pourrait conduire à un résultat relativement différent) en raison des blocages maintenus sur les principales dimensions de l’accord : la différentiation, les financements et l’ambition.

La différentiation est le point central, la colonne vertébrale de la convention signée en 1992 à Rio. Elle souligne la responsabilité historique des pays développés dans l’apparition du réchauffement climatique. La grande difficulté est aujourd’hui de la mettre à jour, pour la faire correspondre aux réalités actuelles. En effet, comment ne pas demander à la Chine, premier émetteur depuis 2007, de prendre des engagements contraignants pour limiter la croissance de ses émissions et inverser la tendance au plus vite, tout en reconnaissant que les émissions des pays développés se sont faites au détriment des pays du Sud qui ne voient en la modification de ce principe qu’une injustice de plus et un outil sanctionnant leur développement ?

Les débats sur les financements constituent l’autre face de cette pièce. Les pays en développement attendent des engagements concrets en matière de financement, de transferts de technologies, qui tardent à se concrétiser. Le rapport de l’OCDE publié début octobre 2015, qui faisait état de 61,8 milliards de dollars de financements a irrité nombre de délégations, Brésil en tête, qui, sans contester radicalement les chiffres, ont pointé du doigt une méthodologie peu orthodoxe (le rapport regroupant prêts et dons, privés, publics, programmes de soutiens de différentes banques de développement). L’absence de visibilité post-2020 sur ces différentes enveloppes reste l’un des principaux arguments des grands émergents, surtout quand les puissances occidentales comme les Etats-Unis, qui n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto, souhaiteraient voir Brésil, Inde et Chine participer à l’effort de financement des mesures d’atténuation et d’adaptation.

Enfin, l’ambition reste le nœud gordien, le point de l’accord qui guidera pour certains, la qualification d’échec ou de succès de la conférence de Paris. Certes, la limitation du réchauffement à 1,5°C a fait son apparition dans le texte (qui évoque l’objectif de « maintenir la température mondiale bien au-dessous de 2°C par rapport au niveau préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter cette hausse à 1,5°C ») mais sans suivi, notification et vérification, comment s’assurer des efforts effectués par chacun, notamment vis-à-vis de leurs engagements ? Pour l’heure, les pays n’appartenant pas à l’Annexe I ne sont pas dans l’obligation de fournir des évaluations de leurs émissions, et les plus émetteurs d’entre eux comme l’Inde ou la Chine exigent de pouvoir continuer à présenter, au nom de la justice et de l’équité, des objectifs ne portant pas sur des réductions absolues de celles-ci, mais concernant l’intensité carbone du PIB par exemple. Le principe de révision quinquennale des engagements – si elle s’avérait nécessaire pour l’atteinte des objectifs – est intégré à l’accord mais l’UE souhaiterait y joindre des discussions intermédiaires plus régulières sur le sujet, afin de ne pas recommencer tous les cinq ans une discussion complexe sur de tels objectifs. L’idée est également de réviser cela avant l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, donc avant 2020 et non en 2024, option pour l’instant retenue. Rendre cet exercice de discussions intermédiaires (et ante-2020) obligatoire pourrait constituer une ligne rouge pour les émergents.

Dans ces dernières heures de négociations, la présidence française, avec l’aide de facilitateurs, doit s’enquérir des lignes rouges de l’ensemble des Etats en échangeant avec leurs négociateurs et faire la synthèse, tout en conservant un niveau d’ambitions élevé. Les membres de l’Alliance des petits Etats insulaires avaient annoncés qu’ils ne signeraient qu’un texte mentionnant l’objectif de 1,5°C. Les Etats africains souhaitent pour leur part des engagements concrets sur l’adaptation. Les puissances occidentales, tout en reconnaissant leur rôle historique dans l’apparition du changement climatique, demandent aussi aux grands émergents, Chine, Inde, Brésil en tête, de participer à la mobilisation financière quand ces derniers ne veulent pas de modification significative du principe de différentiation. On touche ici la complexité d’une négociation internationale chargée d’arriver à un compromis, à l’unanimité, rassemblant 195 pays dont les profils, intérêts et stades de développement demeurent radicalement différents. Le risque principal est de voir un texte conserver la mention d’un objectif de 1,5°C tout en affichant des objectifs et des moyens plaçant le monde sur une trajectoire 3°C. Les caractères contraignant et ambitieux ne sont-ils pas sur le point d’être sacrifiés sur l’autel de l’unanimité ? La mobilisation sans précédent des acteurs non gouvernementaux et des collectivités aux entreprises permettra-t-elle de pallier cet écueil ? Réponse dans quelques heures.
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