ANALYSES

« La Chine représente à la fois un risque et une opportunité »

Presse
4 décembre 2015
La malédiction des matières premières est-elle vouée à s’abattre sur l’Afrique ?
Tout dépend de la façon dont sont gérées les matières premières. Par exemple, en Algérie, pays exportateur de pétrole, il y a eu une redistribution sociale d’une partie de la rente sans diversification de l’appareil économique. Mais, vous avez des pays qui ont su gérer leurs matières premières, ce qui n’a pas nui à la diversification économique. Tout dépend de l’usage que l’on fait du pétrole. De façon générale en Afrique, exception faite du Botswana pour le diamant, peu de pays ont été capables de débudgétiser le pétrole, c’est-à-dire de ne pas faire dépendre les recettes de l’État de la manne pétrolière et de mettre en place un fonds de stabilisation destiné à recueillir les recettes extérieures. Ce projet pour plein de pays africains n’a d’ailleurs jamais réellement réussi parce qu’il y a toujours eu des urgences liées au clientélisme politique plutôt que d’investir économiquement. Donc, effectivement le pétrole n’a pas été un grand facteur de diversification économique des pays africains mais cela résulte de choix politiques et pas uniquement de l’effet du pétrole.

Comment l’Afrique peut-elle tirer le meilleur parti de la présence chinoise sur son territoire ?La stratégie de développement africaine ne se réduit pas seulement à la relation Chine-Afrique puisque l’on parle par ailleurs des relations Inde-Afrique, Brésil-Afrique, Europe-Afrique, États-Unis-Afrique, etc… reste à savoir comment intégrer ces stratégies bilatérales dans une stratégie globale de développement. S’il existe une stratégie à long terme, s’il existe des acteurs suffisamment détachés de la corruption et du court terme, à ce moment-là, la Chine aura un effet extrêmement positif à travers ses apports financiers, technologiques, ses activités, son modèle organisationnel qui fonctionne bien. Les pays africains doivent faire de la relation sino-africaine un élément de leur propre stratégie et, à cette fin, doivent dépasser la balkanisation de micro-États et se constituer des stratégies à des niveaux régionaux. Par exemple, l’instauration d’un protectionnisme en Afrique demeure illusoire au vu de la porosité des frontières. Par contre, la mise en place de politiques de protection ou d’appui à des secteurs stratégiques comme l’agriculture, etc… à des niveaux régionaux s’avère tout à fait envisageable.

La Chine contribue-t-elle à une insertion de l’Afrique sur la voie d’un développement classique (de l’agriculture à l’industrie, de l’industrie vers les services) ?
Ce schéma-là a en partie disparu. Aujourd’hui le passage obligé par cette voie de tertiarisation fait débat. L’Industrialisation signifie que l’Afrique se positionne dans des chaînes de valeur industrielle. C’est-à-dire qu’elle produit des composants qui sont mondialisés ou des biens industriels en phase finale. L’échec serait de vouloir une industrialisation complètement intégrée. Il faut que l’Afrique s’industrialise. Mais, il est nécessaire de repérer des créneaux spécifiques d’industrialisation. La valeur ajoutée aujourd’hui s’effectue essentiellement dans le secteur des services (notamment services aux entreprises, liés à la finance, liés au commerce, liés aux transports). Et c’est là que l’Afrique est en train de se positionner. L e Nigeria offre l’exemple d’un pays producteur de pétrole et de gaz, dont le secteur tertiaire représente une part importante du PIB. Il ne faut donc pas s’attacher à un schéma linéaire parce que les économies sont mondialisées et que le développement économique ne se construit pas en économie fermée. Il faut donc identifier les principaux secteurs d’intégration à l’économie mondiale qui peuvent avoir le plus grand effet d’entraînement sur le plan territorial (il peut s’agir de l’agriculture, de l’élevage, d’autres secteurs. La véritable question qui se pose aujourd’hui est la suivante : alors que les frontières sont ouvertes, comment peut-on avoir une stratégie à long terme et comment faire en sorte que l’ouverture extérieure soit non pas créatrice d’enclaves mais soit au contraire créatrice de lieux avec effet d’entraînement vis-à-vis du tissu économique local ou territorial.

Pour conclure ?
La Chine, comme dans toute relation, représente à la fois un risque et une opportunité. Pour qu’elle devienne une opportunité, les principaux défis africains doivent être relevés avec l’appui de la Chine. Mais fondamentalement, la responsabilité est dans les mains des Africains, elle est dans les mains des citoyens, elle est dans les mains des décideurs politiques, elle est dans les mains des syndicats, des associations. Rien n’est joué. Il est évident que l’on peut percevoir la Chine comme étant un risque, comme étant un géant qui écrase l’Afrique ou au contraire comme un apporteur de technologie et de capital. Le jeu est dans les mains des responsables africains.
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