ANALYSES

Venezuela 6 décembre, Argentine 22 novembre 2015 : alternances électorales et recompositions diplomatiques

Tribune
7 décembre 2015
L’Amérique latine peut-être, l’Amérique du Sud sans doute, est certainement à un tournant. Celui-ci est d’abord politique. Les majorités nouvelles ayant accédé au pouvoir à Caracas le 6 décembre et à Buenos Aires le 22 novembre affichent des convictions libérales et anti-étatiques. Ces dispositions contrastent avec celles nationalistes et dirigistes des équipes sortantes. Mais le tournant est aussi diplomatique. Les vainqueurs de Caracas comme ceux de Buenos Aires entendent réconcilier leurs pays avec les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon. Prendre donc une distance avec les orientations qui, ces dernières années, privilégiaient les relations Sud-Sud, pour restaurer un lien Nord-Sud.

Le renouveau politique latino-américain des années 2000 avait en effet bouleversé la donne régionale. Abandonnant les politiques économiques dites du « consensus de Washington », les majorités nationales-progressistes arrivées au pouvoir avaient inventé une diplomatie de l’autonomie. Nationalisations ou prise de contrôle directe par l’Etat de sociétés publiques, en Argentine, en Bolivie, au Venezuela, avaient donné aux gouvernements les moyens financiers de fabriquer du social. Elles leur avaient donné également la capacité de distendre les cordons ombilicaux historiques avec l’Europe et les Etats-Unis. Des réseaux régionaux avaient été créés, ALBA (Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amérique), CALC (Sommets d’Amérique latine et de la Caraïbe), UNASUR (Union des nations d’Amérique du sud). Des alliances avaient été nouées avec d’autres continents, ASA (Amérique du sud-Afrique), ASPA (Amérique du sud-Pays arabes). Le Brésil avait consolidé des relations extra-continentales avec l’Afrique du Sud et l’Inde au sein du groupe IBAS et dans les BRIC avec les mêmes, plus la Chine et la Russie.

Ces choix diplomatiques avaient un fondement économique, la Chine. La Chine en Amérique latine comme en Afrique est devenue dans les années 2000 la locomotive du développement. Fer brésilien, cuivre chilien, pétrole vénézuélien, soja argentin, viande uruguayenne, ont alimenté la machine économique chinoise. La Chine a proposé sa coopération. Ses dirigeants ont visité à plusieurs reprises les pays de la région. Des rencontres au sommet ont été mises en place. La baisse de régime de l’économie chinoise a réduit la demande en produits primaires latino-américains. Argentine, Brésil, Chili, Venezuela sont entrés en difficulté. Quelque part le résultat des législatives argentine et vénézuélienne acte la chute d’un modèle économique, diplomatique et finalement électoral.

L’alternance globale portée par ces résultats est d’autant plus significative qu’elle vient après d’autres évènements régionaux qui en confortent la tendance. En 2014, la victoire présidentielle au Brésil de Dilma Rousseff avait été lue comme une perpétuation des années Lula. Pourtant, les législatives, qui s’étaient déroulées en parallèle, avaient réduit l’espace parlementaire du parti présidentiel, le PT (parti des travailleurs). Le parlement brésilien désormais contrôlé par de groupes d’intérêts locaux, des « lobbies » agro-industriels, des élus évangélistes, a très vite freiné puis bloqué toute les initiatives présidentielles. Ses représentants affichent ouvertement leur sympathie avec les vainqueurs des consultations argentine et vénézuélienne. Le Brésil depuis ses élections de 2014 est ingouvernable et de plus en plus perméable à l’air du temps, celui de Buenos Aires et de Caracas.

Le centre de gravité diplomatique latino-américain se déplace à l’Ouest, vers le Pacifique. En 2012 les Etats riverains de cet océan, prenant en compte leurs pesanteurs géoéconomiques et leurs orientations libérales, se sont constitués en Alliance du Pacifique. Mexique, Colombie, Pérou et Chili ont depuis consolidé leur union. A la différence du Brésil et du Venezuela, ces quatre pays ont des taux de croissance positifs. Au point d’acquérir un pouvoir d’attraction sur certains pays d’Amérique centrale et même sur l’Uruguay, pourtant membre du Mercosur (marché commun des pays du Sud, Argentine-Brésil-Paraguay-Uruguay-Venezuela). A peine élu, Mauricoi Macri, nouveau chef d’Etat argentin, a lancé l’idée d’une association Mercosur-Alliance du Pacifique.

Les Etats-Unis ont parallèlement repris la main perdue dans les années 2000. Le projet de marché commun américain, de l’Alaska à la Terre de feu, la ZLEA, avait été enterré au sommet hémisphérique de Mar del Plata (Argentine) en 2005, par Hugo Chavez, Nestor Kichner, et Lula. Les Etats-Unis ont proposé en 2015 un traité de libre-échange transpacifique aux pays riverains, Chine exceptée. Les pays de l’Alliance du Pacifique sont partie prenante du projet. Cuba, a trouvé un terrain d’entente, anticipant les évolutions économiques et électorales vénézuéliennes avec les Etats-Unis. Les relations diplomatiques rompues unilatéralement par Washington en 1961 ont été rétablies en 2015. Prenant acte de la crise financière de Petrocaribe, organisation de coopération pétrolière entre le Venezuela et les pays antillais, les Etats-Unis ont pris le relai.

Les élections argentine et vénézuélienne de cette fin d’année 2015 consolident une évolution en cours depuis plusieurs mois. La Chine, on l’a dit, est au centre de ces évolutions. Elle reste pourtant en dépit du reflux de sa demande en produits latino-américains et du ressac économique, électoral provoqué par ce repli, un acteur incontournable pour tous les pays de cette région, quelles que soient leurs options programmatiques et idéologiques. La Chine a rappelé aux vainqueurs des consultations d’Argentine et du Venezuela que la raison commerciale, économique et diplomatique du XXIe siècle, est bien loin des proclamations idéologiques de Bandoeng en 1955. Le communiqué officiel rendu public par le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères le 23 novembre 2015, au lendemain des élections argentines est de ce point de vue éclairant : « La Chine félicite ce lundi Mauricio Macri pour sa victoire (…) L’Argentine est un grand pays d’Amérique latine et une économie émergente. L’association stratégique intégrale de la Chine et de l’Argentine s’est développée de façon favorable (…) la Chine est ouverte à tout approfondissement de cette coopération (…) au bénéfice du développement mutuel des deux pays ». Une déclaration voisine a été faite le 7 décembre suivant au lendemain des législatives vénézuéliennes. « Nous espérons, a indiqué Mme Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, que vous pourrez maintenir la stabilité et le développement. La Chine est disposée à poursuivre le travail en commun, pour consolider l’amitié et élargir la coopération dans le commercer comme dans d’autres domaines ».
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