ANALYSES

Campagne électorale à Taïwan : Le Kuomintang en quête (tardive) d’un nouveau souffle

Tribune
23 octobre 2015
La campagne électorale en vue de l’élection présidentielle taiwanaise du 16 janvier 2016 a connu un coup de théâtre retentissant à seulement trois mois du scrutin. A l’issue d’un Congrès extraordinaire qui s’est tenu le 17 octobre à Taipei, le Kuomintang (KMT), le parti de la majorité présidentielle, a voté par un score écrasant de 812 votes favorables sur 891 le retrait de l’investiture à la candidate, Hung Hsiu-chu [洪秀柱]. C’est Eric Chu [朱立倫], maire de New Taipei (l’agglomération autour de la capitale) et président du KMT, qui a été désigné pour porter les couleurs de son parti en janvier. Chu était depuis quelques mois et plus particulièrement son arrivée à la présidence du KMT en décembre 2014 considéré comme le candidat le plus sérieux de son parti, mais il avait dans un premier temps décliné l’investiture. Sans doute par peur d’essuyer un échec, et d’hypothéquer son avenir politique, qui semble pourtant prometteur.

Depuis son investiture en juillet 2015, Madame Hung n’est jamais parvenue à imposer son style et à se positionner comme présidentiable. Les sondages l’ont constamment donnée largement perdante, et dans l’incapacité de combler son retard sur la candidate du Parti démocrate-progressiste (DPP) et grande favorite pour l’élection de janvier, Tsai Ing-wen [蔡英文]. En trois mois de présence médiatique, elle est apparue maladroite, imprécise et peu au fait des dossiers, au point d’être parfois comparée à Sarah Palin, la colistière de John McCain dans la campagne présidentielle américaine de 2008. Mais ce sont surtout les positions de Hung sur la relation inter-détroit, et le ton très pro-Pékin qu’elle a donné à certains de ses discours, qui a posé problème aux cadres dirigeants du parti, soucieux de ne pas donner l’image d’un parti trop proche de Pékin tandis que la mandature de Ma Ying-jiou se termine avec un soutien populaire au plus bas, et des inquiétudes sur l’accélération de l’intégration économique inter-détroit que le mouvement des tournesols au printemps 2014 n’a fait qu’illustrer. Dans l’ensemble, les Taiwanais ne remettent pas en cause les avancées depuis l’accord-cadre (ECFA) sur la relation inter-détroit de 2009, mais s’interrogent sur sa finalité, et sur les risques d’une interdépendance pouvant à terme favoriser une réunification qu’ils ne souhaitent pas. Plus prudent que Hung, Chu a par ailleurs pu prendre la mesure des difficultés à faire accepter un discours trop proche de Pékin, et devrait proposer un programme plus mesuré sur la relation avec la Chine continentale.

Beaucoup de choses peuvent se produire en trois mois de campagne, et les chances de Chu sont indiscutablement supérieures à celles de Hung. Cependant, cette disgrâce à seulement trois mois du scrutin n’est-elle pas trop tardive, au risque de donner une image d’amateurisme ? Par ailleurs, cette décision de remplacer la candidate du KMT illustre les multiples problèmes internes que rencontre le parti actuellement au pouvoir. Divisions profondes, difficulté à formuler un discours cohérent sur la relation inter-détroit, problème de renouvèlement des élites politiques, problème de leadership au sein du parti… Chu aura de grandes difficultés à rectifier le tir d’ici janvier 2016, et éviter une défaite annoncée. Il lui faudra redoubler d’efforts, et c’est la raison pour laquelle il a annoncé se mettre en vacance de sa fonction de maire de New Taipei pendant une période de trois mois, soit jusqu’à l’élection.

Derrière cet épisode qui traduit les hésitations et les problèmes en interne du KMT, quels enseignements peut-on en tirer ? D’abord que la question inter-détroit reste déterminante, à la fois dans le clivage KMT-DPP, mais aussi à l’intérieur du parti nationaliste, qui reste profondément divisé sur la question. Ensuite, qu’Eric Chu a choisi de prendre ses responsabilités, sans doute plus rapidement qu’il ne le souhaitait. Cela augure, quel que soit le résultat de l’élection de janvier, un recentrage autour de sa personnalité au KMT. On pourrait d’ailleurs se demander si cet épisode n’aurait pas été prémédité par Chu, en vue de renforcer son autorité au sein d’un parti divisé, et d’apparaître comme le seul susceptible d’éviter la déroute. Enfin, cet épisode nous éclaire sur l’incapacité actuelle du KMT à sortir du culte du chef, et la disgrâce de Madame Hung, en dépit de l’erreur de casting manifeste de juillet, ne devrait pas permettre à ce parti, au moins à moyen terme, d’en sortir grandi.